Les Allemandes
Dans leurs villes belles et grandes
Où glissent leurs foules accrues,
Les jeunes femmes allemandes
Vont lugubrement par les rues.
Toutes en noir, sous leurs longs voiles,
Murmurant le nom du ministre
Et plus blanches que les étoiles,
Elles marchent d'un air sinistre.
Rebuvant leurs larmes aigries,
De la guerre vivants emblèmes,
De leurs longues mains amaigries
Elles traînent des enfants blêmes.
Hélas! murmure une d'entre elles
Avec une voix de fantôme,
La Victoire a pris sous ses ailes
Notre héros, le roi Guillaume;
Monsieur de Bismarck nous informe
Qu'il va tailler une Allemagne
Plus magnifique et plus énorme
Que celle du roi Charlemagne;
Il leur faudra mille ans pour boire
Les éloges qu'ils thésaurisent,
Et leur Fritz, écrasé de gloire,
Se porte bien, à ce qu'ils disent.
Mais nos Fritz à nous, ô martyre!
Les pères de ces petits êtres
Dont la main tremblante nous tire,
Où sont-ils? Qu'en ont fait leurs maîtres?
Loin de nous, qui devons nous taire,
L'oeil morne et la poitrine ouverte,
A peine recouverts de terre,
Ils sommeillent sous l'herbe verte.
Leur front de neige se soulève
Pendant les nuits éblouissantes,
Et quoique morts, parfois en rêve
Ils voient leurs femmes gémissantes.
Ils dorment là-bas dans les havres
Où jamais notre vois n'arrive,
Et sur tous leurs pauvres cadavres
On a jeté de la chaux vive.