Le Charmeur
Tandis que les jeunes Bretons
Sous l'éclair du soleil oblique
Passaient, et que leurs pelotons
Criaient: Vive la République!
On m'a montré, parmi leurs flots,
Dans les brumes orientales,
Un sous-lieutenant de moblots
Dont le regard charme les balles.
Sa moustache est comme un fil d'or;
C'est un enfant à la main blanche,
Et le ciel se reflète encor
Dans sa prunelle de pervenche.
Il fait beau voir ces yeux ardents
Et ce jeune corps svelte et grêle.
Il va seul, une fleur aux dents,
Où le plomb siffle comme grêle,
Et les balles, dont les réseaux
S'entre-croisent dans la tourmente,
Voltigent, comme des oiseaux,
Autour de sa tête charmante
Et le semblent caresser, mais
Sans songer à lui faire injure
Et sans même offenser jamais
Les boucles de sa chevelure.
Les femmes l'admirent aussi;
Mais bien loin d'être leur esclave,
Il n'a d'elles aucun souci.
Car sachez que ce jeune brave
A fait un pacte avec la Mort,
Et cette noire enchanteresse,
Dont la dent cruelle nous mord,
Doit être sa seule maîtresse.
Il marche au feu comme il lui plaît,
Grâce à la Déesse impassible
Qui toujours le protège. Elle est
Sa Dame, et le rend invincible.
Elle aura cet amant si cher,
Mais quand nos ennemis superbes,
Navrés et meurtris dans leur chair,
Dormiront couchés sous les herbes.
Car le héros, qu'avec amour
Elle suit de ses yeux d'ivoire,
Ne doit l'épouser que le jour
De notre suprême victoire!