L'Histoire
Bismarck en soldat qu'on redoute
Parle, et, sans le contrarier,
L'austère Déesse l'écoute,
Pensive sous son vert laurier.
Oui, dit le chancelier, en somme,
Berger ou comte palatin,
Monarque ou mendiant, tout homme
Est l'artisan de son destin.
Qu'il porte la pourpre ou la bure,
Pauvre ou détenteur d'un trésor,
Qu'il soit né dans la foule obscure
Ou sur le trône aux franges d'or,
Ses oeuvres, dont il est le maître
Et dont il n'a pas hérité,
Décideront ce qu'il doit être,
Même pour la postérité!
Cet assassin à tête blonde
Qui prend la lyre d'Arion,
Néron, quoique maître du monde,
N'est qu'un insipide histrion.
Alexandre suit sa chimère
Comme un soldat sans feu ni lieu,
Et cependant l'aveugle Homère
De mendiant devient un dieu.
On ne saurait tromper la gloire
Devant l'avenir indigné.
Que devient un titre illusoire
Si nous ne l'avons pas gagné?
Murat, qui, d'un geste bravache
Voulant fendre en deux les cieux clairs,
Va, faisant siffler sa cravache
Parmi la foudre et les éclairs,
Qu'est-il pour la France hautaine,
Pour cette guerrière aux yeux bleus?
Un roi? non; mais un capitaine,
Un vague Roland fabuleux,
Un courtisan de l'aventure.
Et Marceau, tenant dans sa main
Son épée invincible et pure,
Est plus grand qu'un César romain!
C'est pourquoi, Déesse, si j'ose
Agir comme un roi, je suis roi,
Créant ma propre apothéose!
Bismarck, par ces mots qui font loi,
D'une manière péremptoire
Achève sa péroraison.
Brigadier, lui répond l'Histoire,
Brigadier, vous avez raison!