Les Fontaines
Lorsque la Ville était heureuse,
Les fontaines, depuis l'aurore,
Disaient d'une voix amoureuse
Leur chanson tremblante et sonore.
Leurs gais jets d'eau, sous la feuillée
S'envolant en gerbes fleuries,
Dans la lumière ensoleillée
Éparpillaient des pierreries,
Et, baignés d'une clarté blonde,
Leurs bassins, riant sous les grilles,
Reflétaient dans leur eau profonde
Les visages des belles filles.
Même la nuit, quand sous la brume
Paris, toujours prêt aux extases,
Mettait à son front qui s'allume
Une parure de topazes,
Leur murmure disait encore
D'une voix amie et touchante:
Noble Ville que l'Art décore,
Vis et travaille en paix: je chante!
Et j'aimais jusqu'à leur silence!
Mais à présent, dans les ténèbres
Chacun de leurs jets d'eau s'élance
En jetant des plaintes funèbres.
Ainsi que des démons fantasques
Menant des danses illusoires,
Je vois tristement dans leurs vasques
Passer de vagues formes noires.
De mystérieuses Chimères
S'y viennent ébaucher en foule,
Et moi, plein de larmes amères,
Je songe à tout le sang qui coule,
Versé, versé comme un flot sombre
Par nos batailles incertaines,
Quand j'entends s'exhaler dans l'ombre
Le gémissement des fontaines.