A la Patrie
Oui, je t'aimais, ô ma Patrie!
Quand, maîtresse des territoires,
Tu menais de ta main chérie
Le choeur éclatant des Victoires;
Lorsque, souriante et robuste
Et pareille aux Anges eux-mêmes,
Tu mêlais sur ta tête auguste
Les lauriers et les diadèmes!
Vivant passé, que rien n'efface!
Les peuples, ô grande ouvrière,
N'osaient te regarder en face
Dans ta cuirasse de guerrière;
Et toi, retrouvant dans ton rêve
L'âme de Pindare et d'Eschyle,
Tu portais, sans laisser ton glaive,
La lyre des Dieux, comme Achille!
Calme sous l'azur de tes voiles,
Et multipliant les prodiges,
Tu pouvais semer des étoiles
Sur les rênes de tes quadriges;
On louait ta blancheur de cygne
Et ton ciel, dont la transparence
Charme tes forêts et ta vigne;
On disait: Voyez! c'est la France!
Oui, je t'aimais alors, ô Reine,
Menant dans tes champs magnifiques
Brillants d'une clarté sereine
Tous les triomphes pacifiques;
Mais à présent, humiliée,
Sainte buveuse d'ambroisie,
Farouche, acculée, oubliée,
Je t'adore! Avec frénésie
Je baise tes mains valeureuses,
A présent que l'éponge amère
Brûle tes lèvres douloureuses
Et que ton flanc saigne, ma mère!