Le Bavarois
Et ce que les Sarrazins et barbares iadis
appeloyent proesses, maintenant nous appelons
briguanderies et meschancetez...
Rabelais.
Comme le faisait autrefois
Cet héritier de Charlemagne
Dont l'ombre épouvantait les rois,
Le futur César d'Allemagne,
Le vieux roi Guillaume, rêvant
Globe d'or et pourpre enflammée,
Se promène à pas lents, devant
Le front immense d'une armée.
Joyeux, il flatte son coursier.
Puis il dit: C'est bien. Plus d'entraves.
Les canons de bronze et d'acier
Et les Saxons ont été braves.
Soldats! Je suis content de vous!
Nous prendrons Londres comme Vienne,
Et si l'un de vous est jaloux
De parler à son roi, qu'il vienne!
A ces mots du doyen des rois,
Pâle et plus jaune que la cire,
Un jeune soldat bavarois
Quitte les rangs, et lui dit: Sire!
Les Bavarois ne sont pas gais.
Paris est gardé comme l'arche,
Et nous sommes tous fatigués
Depuis six grands mois que je marche.
De plus, une si grande faim
Nous déchire, sombre femelle,
Que je me résoudrais enfin
A manger du cuir de semelle!
On ne nous nourrit que de vent,
C'est là ce dont nos coeurs s'émeuvent,
Et l'on nous met toujours devant
A l'endroit où les balles pleuvent.
Les jeunes comme les anciens
D'entre nous jonchent la clairière.
O mon roi! quant aux Prussiens
De Prusse, ils sont toujours derrière.
Puis le froid vient nous épier
Et nous tient sous sa dent mortelle
Avec nos souliers de papier
Et nos capotes de dentelle!
Ainsi le soldat qui pâlit
Défile son triste rosaire.
Le Roi lui dit: Pauvre petit!
J'aurai pitié de ta misère.
Tu souffrais quand je triomphais!
Mais quoi! je ne suis pas un Russe.
Allons, console-toi, je fais
Notre Fritz maréchal de Prusse!