Rouge et Bleu
O République! dans leur antre
Il fut des traitants rabougris
Qui faisaient un dieu de leur ventre
Et que le Vice avait pourris.
Ceux-là, pour qui les heures douces
Avaient des plaisirs de haut goût,
Les acheteurs de filles rousses
Et les marchands de rien du tout,
C'étaient les faiseurs de pastiches,
Si jolis, si tristement laids,
Et les gentilshommes postiches:
Ils sont partis! bénissons-les,
Ces petits-crevés sans haleine,
Sans âme et sans barbe au menton,
Qui riaient d'Orphée et d'Hélène
Avec des Phrynés de carton!
Ce qui reste dans tes murailles
Où l'on ne connaît pas l'effroi,
Par le sang et par les entrailles,
O Paris! est digne de toi.
Ceux qui demeurent, sur la lèvre
Ont la bataille sans merci;
Et, fils de Mercier ou de Febvre
Ou bien fils de Montmorency,
Ils ont des coeurs que rien ne glace,
Et combattre est leur seul besoin.
Tes fils, ô grande Populace,
Et les marquis venus de loin
Ont les désirs qui sont les nôtres;
Et Paris, qui veut tout souffrir,
Voit que, les uns comme les autres,
Ils savent marcher comme mourir.
Le peuple, fait d'âmes stoïques,
Ayant brisé son vieux lien,
S'envole aux trépas héroïques,
Et les marquis meurent, très-bien.
Ils vont où le plomb tue ou blesse,
Les uns font bien, les autres mieux;
Et tous, populace et noblesse,
Ils sont dignes de leurs aïeux!
Restés sans peur et sans reproche,
Jacques Bonhomme avec Roland,
Amadis de Gaule et Gavroche
Vont ensemble au combat hurlant,
Et, conquérant d'égales tombes
Devant la batterie en feu,
Mêlent, sous les éclats des bombes,
Le sang rouge avec le sang bleu!