Le Mourant
[Le Soldat.]
Dans la fumée affreuse et noire,
Ayant du sang jusqu'aux genoux,
Il nous faut suivre la Victoire
Sans regarder derrière nous!
O mon vaillant frère, pardonne!
Moi, je me sens désespérer,
Car tu meurs, et je t'abandonne.
Ah! du moins, laisse-moi pleurer.
[Le Mobile.]
Non! car je meurs ivre de joie!
Va, suis là-bas nos tirailleurs
Que le canon blesse et foudroie;
Je n'ai pas besoin de tes pleurs.
Mon sang inonde les clairières;
Mais, ô jour longtemps souhaité!
J'en vois naître ces deux guerrières,
La Vengeance et la Liberté!
[Le Soldat.]
Mais tu t'en vas, si jeune encore!
[Le Mobile.]
Frère, ce qui remplit mes yeux
Ce n'est pas la nuit, c'est l'aurore.
Va combattre. Je suis joyeux.
[Le Soldat.]
Une douce lèvre fleurie
Sans doute eût béni ton retour!
[Le Mobile.]
Ma fiancée est la Patrie!
Qu'elle ait mon dernier cri d'amour!
[Le Soldat.]
Et plus tard, dans ta maison close,
Des enfants, beaux comme des lys,
T'auraient tendu leur bouche rose.
[Le Mobile.]
Ceux-là qui vaincront sont mes fils!
Que l'azur sur leurs têtes brille!
Ils vont me suivre et me venger.
On n'a ni maison ni famille
Sous le talon de l'étranger.
[Le Soldat.]
Et ta mère, au front angélique!
[Le Mobile.]
Orpheline par mon trépas,
Je la lègue à la République.
Va donc, et ne me pleure pas.
[Le Soldat.]
Je ne pleure plus, je t'envie!
Exhale en paix d'un coeur fervent
Le dernier souffle de ta vie!
[Le Mobile.]
Le clairon t'appelle. En avant!