La Contagion
La Contagion, dans ce temps
Épouvantable des histoires,
Sur nos ennemis hésitants
Éparpille ses flèches noires.
Ils meurent en leurs lits fiévreux,
Tandis que dans leur âme crie,
Au milieu de songes affreux,
La figure de la Patrie.
D'un oeil morne et vivant encor,
Ils voient, loin des salles moroses,
Leurs femmes aux longs cheveux d'or
Et leurs enfants aux bouches roses.
Et brûlants, le sein haletant,
Ils cherchent, dans leur longue épreuve,
Le gai village, reflétant
Ses maisons blanches dans le fleuve!
Ils meurent, soldats, cavaliers,
Jeunes gens gais comme l'aurore,
Par centaines et par milliers,
Et la chaux vive les dévore.
Parfois, sentant comme un remord
A voir cette masse vivante
S'écrouler ainsi dans la mort,
Leur chef se trouble et s'épouvante.
Fléau, dit-il d'un coeur transi,
Que veut ta rage envenimée?
Pourquoi viens-tu me prendre ainsi
Tout le meilleur de mon armée?
Pourquoi viens-tu nous immoler?
Mais la Contagion impure
Devient visible et fait voler
Les serpents de sa chevelure,
Et parle ainsi: Quand les clairons,
Déchaînés sur les territoires,
Font frissonner les ailerons
Noirs et sinistres des Victoires;
Quand montent les arcs triomphaux;
Quand les Batailles aux longs râles
Vont tranchant de leur large faux
Des moissons de cadavres pâles;
Quand vous avez dit: Tue ou meurs!
Quand de la terre qui poudroie
Montent d'effroyables clameurs;
Quand la Guerre tonne et foudroie
Au milieu des champs douloureux,
Cette meurtrière à l'oeil sombre
M'apporte dans le vol affreux
De ses ailes. Je suis son Ombre.