Monstre vert
Doucement... ce n'était qu'un rêve... O
lâche conscience, comme tu me tourmentes!
Shakspere, Richard III.
De Moltke est assis. Triste, il bout
Dans ses colères anxieuses.
Près de lui se tiennent debout
Deux guerrières silencieuses.
L'une est plus pâle que la Mort.
Sa main en fuseau se termine,
Et, les dents longues, elle mord
Le vide. On la nomme Famine.
L'autre est terrible à voir. Rampants,
Sifflants, tordant leur annelure
Sur son front, un tas de serpents
Hideux lui sert de chevelure.
Son visage effroyable est vert;
Et flamboyant sur ses dents plates,
Dans sa bouche, rictus ouvert,
Volent trois langues écarlates.
Une Gorgone sur le sein,
Chimère qui semble vivante,
Elle a dans ses mains le tocsin
Funèbre: on la nomme Épouvante.
Le général, dont les douceurs
Sont au-dessus de tout éloge,
Lève ses yeux vers les deux soeurs,
Et tour à tour les interroge.
Famine, dit-il, apprends-moi
Si les Parisiens se rangent.
Non, répond la Stryge. O mon roi,
Je n'ai pas de bonheur. Ils mangent!
Problème profond comme un puits!
Ils mangent! C'est de la féerie,
S'écrie alors de Moltke. Puis
Interpellant l'autre Furie,
As-tu su les pousser à bout,
Guerrière, de serpents couverte?
Demande-t-il. Moi? pas du tout,
Lui répond la figure verte.
Seigneur, le but n'est pas atteint!
Ils ont vu (cela m'ensorcelle)
Que j'étais faite en papier peint,
Et que vous teniez ma ficelle!