Les Enfants morts
Faute d'un lait qui les nourrisse,
Les tout petits enfants, que mord
Une flamme exterminatrice,
Défaillent, glacés par la mort.
Les petits enfants meurent, meurent,
O pauvres anges familiers!
Il en est bien peu qui demeurent:
On les emporte par milliers.
Avec des fureurs imbéciles,
Nous restons là devant nos seuils,
A regarder en longues files
Passer les tout petits cercueils.
O chers petits! leur oeil se vide
Et s'enfonce dans un brouillard;
En deux jours, leur front qui se ride
Ressemble à celui d'un vieillard.
Puis, hélas! charmants petits cygnes,
Orgueil fleuri de la cité,
Ils meurent avec tous les signes
Affreux de la caducité.
Roi Guillaume! à l'heure inconnue
Où notre âme, dans l'azur bleu,
Frissonne épouvantée et nue
Devant la colère de Dieu;
A l'heure où, sans que nulle excuse
Apaise ses yeux fulgurants,
La victime sanglante accuse
Les meurtriers et les tyrans;
A l'heure où les soldats, que paie
Ton empire aux fureurs voué,
Te montreront ouvrant sa plaie
Leur flanc hideusement troué;
A l'heure où les mères fatales
Tordant leurs minces doigts de lys,
L'horreur sur leurs têtes spectrales,
Viennent hurler: Rends-nous nos fils!
Tu sauras bien que leur répondre!
Tu leur diras: Au champ lointain,
Le rang que le boulet effondre
Est la pâture du Destin.
Ils étaient tous ce que nous sommes,
Des voyageurs nés pour souffrir;
C'étaient des soldats et des hommes,
Partant destinés à mourir!
Tu diras ainsi, roi Guillaume,
Pour tromper le maître attentif,
Mais quand le tout petit fantôme
S'approchera de toi, pensif;
Lorsque, sans peur de ton épée,
Les tout petits, avec leurs doigts
Grands comme des doigts de poupée,
Débiles, sans regard, sans voix,
Te désigneront à Dieu même
Que rien ne saurait abuser,
Et lorsqu'ils tendront, flasque et blême,
Leur petit bras pour t'accuser;
Quand paraîtront, ô roi qui navres
Le désespoir et la vertu,
Ces anges devenus cadavres,
Dis-moi, que leur répondras-tu?