Les Larmes
Dans l'air, où son drapeau qui bouge
Flotte au-dessus des chapiteaux,
Visant d'abord à la croix rouge
Qui protège les hôpitaux,
Et jonchant les nefs des églises
De tristes cadavres meurtris
Qui tombent sur les dalles grises,
Les obus pleuvent sur Paris.
Et tout là-bas, dans les fumées,
Les Allemands à l'oeil flottant
Disent: Notre Dieu des armées
Dans les cieux doit être content.
Il se réjouit, d'ordinaire,
Lorsqu'au lieu de balbutier,
Nous faisons sortir un tonnerre
Du flanc de nos monstres d'acier.
Parmi ces orages de fonte,
La gaieté dilate son flanc
Lorsque vers sa narine monte
Une épaisse vapeur de sang.
Son calme regard qu'il promène
Sur la campagne hier en fleur,
Aime ces tas de chair humaine
Broyés, sans forme ni couleur,
Qu'a terrassés notre bravoure
Pour le triomphe de César;
Et ce spectacle, il le savoure
Comme un délicieux nectar.
Car il est le Vengeur sinistre,
Coupant l'univers par moitié;
La Guerre est son fauve ministre.
Il ne connaît pas la pitié.
Il ne permet qu'aux siens de vivre,
Et, sous des éclairs fulgurants,
Mieux que d'un cantique, il s'enivre
Du râle sombre des mourants.
Spectateur charmé par nos drames,
Il plaît à ce maître jaloux
De voir les enfants et les femmes
Exterminés comme des loups;
Et dans les villes, ces auberges
Où tombent nos obus hideux,
Il aime à voir les corps des vierges
Brutalement coupés en deux.
Ainsi de vos lèvres pâmées
Louant, ô rêveurs Allemands,
Le farouche Dieu des armées
Que proclament vos hurlements,
Vous vous enorgueillissez même,
Lorsque souffle et mugit l'autan,
D'avoir mis ce cuirassier blême
Sur un vieux trône de Titan;
Et vous trouvez encor des charmes
A l'assourdir de vos hurrahs.
Mais cependant, les yeux en larmes,
Jésus emporte dans ses bras,
Jusqu'aux cieux où montaient leurs râles
Mêlés à vos cris forcenés,
Les pauvres petits enfants pâles
Que vous avez assassinés.