Celle qui reste
Allons! Applaudissez leurs drames.
Ici près, comme un noir tonnerre,
Un obus a frappé deux femmes,
Une jeune fille et sa mère.
Voyez, la jeune fille est morte.
Et la foule, mal résignée,
L'admire, gracieuse et forte
Et dans son sang toute baignée.
Elle ressemble aux fleurs vermeilles.
Pour élever cette enfant blonde,
La mère avait subi les veilles
Et l'enfer glacé, dès ce monde.
Pas de bois, peu de nourriture.
Mais elle était comme en délire
Quand l'enfant gracieuse et pure
La caressait dans un sourire!
Elle se disait: Dans nos bouges
On a tout souffert: l'esclavage,
La faim, le froid; mes yeux sont rouges;
Mais j'ai gardé ma fille sage!
Elle est simple, docile et juste,
Elle ne sera pas légère,
Quelque bon ouvrier robuste
La prendra pour sa ménagère:
Et l'ayant nourrie et baisée
Comme une mère valeureuse,
Ce jour-là, je mourrai brisée
Et bien lasse, mais bien heureuse.
Illusions! songe qui navre!
L'obus est tombé là: qu'importe!
La jeune fille est un cadavre:
Elle ouvre son grand oeil de morte
Où nul rayon ne se reflète;
Et la voilà bien trépassée
Avec sa lèvre violette...
Mais la mère n'est que blessée.