Henri Regnault
Henri Regnault! La Muse pleure
Avec un long regard ami
Ce jeune homme illustre, avant l'heure
Dans la sombre gloire endormi.
O Mort, de forfaits coutumière!
Charmant de sa jeunesse en fleur,
Il se jouait dans la lumière,
Créant la vie et la couleur.
Prenant à l'art ses énergies,
Ses voluptés et ses tourments,
Il s'enivrait de ses magies
Et de ses éblouissements.
A travers les étoffes rares,
Il voyait, d'un oeil enchanté,
Sous l'or et les joyaux barbares
Vivre l'immortelle Beauté.
Déjà même, ivresse infinie!
Il sentait, rêveur ébloui,
L'aile de son naissant génie
Palpiter au dedans de lui.
Oh! qui consolera le père,
En son tourment sinistre et noir
Tombé du faîte où l'on espère
Dans le gouffre du désespoir?
Qui? le sacrifice lui-même
De cet enfant insoucieux,
Qui pour notre rachat suprême
A donné son sang précieux.
Sa mémoire vaillante et pure
A vaincu l'oubli meurtrier;
A jamais dans sa chevelure
Verdira le divin laurier,
Et l'Envie aux dents de couleuvre,
Qui respecte notre sommeil,
Ne mutilera pas son oeuvre
Où se joue un rayon vermeil.
Hélas! la danseuse lassée
Qu'il peignit folle et sans remords,
C'est la Destinée insensée,
Assise parmi des trésors,
Qui, paresseuse et l'oeil candide,
Sans rien vouloir ni rien sentir,
Joue avec le couteau splendide
Qui doit immoler un martyr!