L'Épée
Épée aux éclairs furieux,
Qui, vaillante et de sang trempée,
Dans la main des victorieux
Semblais vivre et combattre; Épée
Qui brillais aux mains de Roland,
Toi dont toute chair lâche et vile
Craignait le choc étincelant,
Arme de Kléber et d'Achille!
Ton rôle est désormais fini.
Ton noble fer, que rien n'imite,
N'est plus, en ce brouillamini,
Qu'un objet symbolique, un mythe.
Il dut, ainsi que tu le vois,
Céder à l'obus en délire,
Comme le piano de bois
A remplacé l'antique lyre.
Jadis, mieux valait, dans le choc
Des batailles âpres et dures,
Asséner de bons coups d'estoc
Que de dessiner des épures;
Nous avons changé tout cela.
Désormais la sûre victoire
Est à celui qui se céla
Dans un trou, sous la terre noire.
Arès, ménager de ses pas,
(Certes, bien fol est qui s'y fie,)
Tourmente avec un grand compas
Des cartes de géographie;
Et ce qui vous brise les dents,
C'est un large pavé de fonte
Avec du pétrole dedans:
La méthode est facile et prompte.
Épée à qui, si grands jadis,
Nous dûmes tout ce que nous sommes,
Guerrière plus pure qu'un lys,
O mâle compagne des hommes!
Un bon arithméticien,
Dédaigneux des récifs épiques,
A vaincu ton orgueil ancien
Par des calculs mathématiques.
Et cependant, sous les cieux clairs
Où tu promenais l'épouvante,
Épée aux furieux éclairs,
Oh! que tu fus belle et vivante,
Avant qu'en un pays dompté
Par sa patiente industrie,
Ce voyageur n'eût apporté
Sa boîte de géométrie!