Épilogue
Rime, avant cet âge fatal,
Voilà bien longtemps, quand la France
Dans une coupe de cristal
Buvait le vin de l'espérance,
Sous mon front venant te poser,
Lors de ces époques heureuses
Tu chantais comme le baiser
Qui joint deux bouches amoureuses.
Quand la Patrie eut à son flanc
Reçu la blessure exécrable,
Lorsqu'il fallut donner son sang
Pour cette martyre adorable,
Tu résonnas comme un clairon
Qui raille le danger vulgaire,
Et ta voix, mieux que l'éperon,
Fit bondir les coursiers de guerre!
Pleine de confiance encor,
Tu te jetais dans la mêlée,
Fière, sous ta cuirasse d'or,
Ainsi qu'une Penthésilée;
Et plus d'une fois le Vainqueur,
Atteint jusque dans son génie,
Tressaillait sous l'accent moqueur
De ton implacable ironie!
Maintenant, tout à mon souci,
Je t'entends, parmi les ténèbres,
Sonner sans trêve et sans merci,
Comme un glas aux notes funèbres,
Ou tu gémis, comme les flots
De la mer qui songe et qui veille.
O Rime, exhale tes sanglots
Tout bas, tout bas, à mon oreille.
Et moi, j'étoufferai sans bruit
Le cri qui de mon coeur s'élance,
Car étant plongés dans la nuit,
Il nous faut garder le silence.
Mais que, rendue à notre amour,
La divine, la bien-aimée
Sourie à la clarté du jour,
Sa plaie horrible étant fermée;
Elle entendra ton chant joyeux,
Qui la caresse et qui la venge,
Monter éclatant dans les cieux
Et pareil à la voix d'un Ange!