La Criminelle
I
Et je vis un sombre cachot,
Où, parmi les noires tentures,
Grinçait dans l'air humide et chaud
Tout un appareil de tortures.
Là, plus vermeils que des rosiers
Au mois de juin, le long des porches
Frémissent de sanglants brasiers,
Qui font pâlir le feu des torches.
J'entends des bruits mystérieux
Gémir, pareils au cri des goules
Dans la nuit, et je vois des yeux
Briller par les trous des cagoules.
Quel criminel, géant ou nain,
Va venir? Mon coeur, tu frissonnes!
Est-ce le boucher Avinain,
Ou Dumolard, tueur de bonnes?
Certes, quelque rustre endurci,
Faisant horreur à la lumière,
Et lâche, et hideux. Non, voici
L'accusée. Elle est belle et fière.
Elle fait la nique aux valets;
C'est une commère gauloise,
Et le rire de Rabelais
Éclaire sa lèvre narquoise.
C'est la Presse. Avec loyauté,
Elle brave, sous l'oeil du sbire,
Les ténèbres, étant clarté,
Et la grimace, étant sourire!
Elle accueille, sans nul tourment,
L'âpre ferraille qui la froisse
Et le lourd Avertissement
Fameux comme poire d'angoisse;
Elle voit, sans effroi marqué,
Les crocs, les brodequins, les pinces,
Et le glaive Communiqué,
Très célèbre dans les provinces,
Admirant avec sérieux
Qu'on ait pu sauver du naufrage,
Et garder, pour les curieux,
Tous ces bibelots d'un autre âge!
II
Mais, feuilletant son agenda,
Grattant son large nez en truffe,
Apparaît un Torquemada,
Moitié Satan, moitié Tartuffe.
O toi, malheur de mes neveux!
Qui fais (même sur la Vulgate!)
Plus de clarté que je n'en veux!
Démon rusé! Bête écarlate!
(Dit-il,) esprit de l'Imprévu,
Qu'il faudrait traîner sur des claies,
Puisque, sans toi, l'on n'aurait vu
Ni les reptiles, ni les plaies!
Toi qui, jusque chez les Lapons,
Causes, faisant le mauvais pire,
O magicienne, réponds:
Qu'as-tu fait du premier Empire?
Hélas! dit la Presse, en rêvant
Devant la bizarre figure,
On ne m'écoute pas souvent!
Ce n'est pas moi, je vous le jure,
Qui l'envoyai, vers les déserts
Où brille la glace épaissie,
Succomber sous les noirs hivers,
Dans les neiges de la Russie!
Parlons du royaume des Lys,
(Fit le juge, non sans adresse.)
Dis, qu'as-tu fait de Charles Dix?
Hélas! brave homme, dit la Presse,
Ce pauvre vieillard, qui fut roi,
Enterra de tristes semences:
Mais, crois-le bien, ce n'est pas moi
Qui lui dictai ses Ordonnances!
III
Or, dans le cachot plein de nuit,
Comme cet interrogatoire
Continuait, toujours conduit
Par le Tartuffe en robe noire,
On entendait, comme en enfer,
Dans un coin de la sombre usine,
Un bruit de marteau sur le fer,
Venu de la chambre voisine;
Et l'on pouvait voir, inondant
Une torche qui semblait morte,
Les reflets d'un brasier ardent
Rougir les fentes de la porte.
Alors moi, saisi de stupeur
Devant cette flamme irisée,
Je m'avançai. N'as-tu pas peur?
Dis-je tout bas à l'accusée.
La Gauloise leva son front
Plus droit que celui des grands chênes.
J'entends bien que, pour mon affront,
On forge de nouvelles chaînes;
Peut-être on invente ce jeu
Pour me faire mourir, dit-elle;
Mais un point me rassure un peu...
C'est que je me sais immortelle!