Masques et Dominos
Ohé! voici les masques!
Fiévreux, coiffés de casques,
Costumés en titis,
En ouistitis,
Sans mesure et sans règles,
Ils poussent des cris d'aigles,
De chenapans, de paons
Et d'aegipans!
Le Délire s'exalte
Et, le long de l'asphalte,
Fait ondoyer ces chars
De balochards!
Hurlez dans les ténèbres!
Mais, ô têtes célèbres,
Est-ce vous que je vois?
J'entends des voix
Qui me sont familières!
Ours blancs sans muselières,
Chicards, turcs, albanais,
Je vous connais!
Car cette fois, sans lustre,
Tout le Paris illustre
A pied comme à cheval
Fait carnaval!
Voici la Femme à barbe
Qui but de la rhubarbe;
Et c'est d'où vint sa peur
Près du sapeur.
Sous tes regards, Europe,
La Sappho de la chope,
Oeil triste et front pâli,
Sort de l'oubli
Et reprend sa marotte.
(On sait quelle carotte
Cette Ange de l'aplomb
Eut dans le plomb!)
Voici l'Homme au trombone!
S'il a près de la bonne
Cet air aguerri, c'est
Qu'il guérissait;
Car, pour rendre aux gens chauves
Des cheveux noirs ou fauves,
Ce zouave Jacob
Vaut monsieur Lob!
Voici le ferme athlète
Qu'une lionne allaite
Et qui cache son nez
Aux gens bien nés;
Certes il est bel homme;
Pourtant Gavroche nomme
Ce fier lutteur masqué:
Communiqué!
Ah! te voilà, mon brave!
Qu'il est triste, le grave
Constitutionnel,
Et solennel!
Ombre de Boniface,
Quoi que ta bonne y fasse,
Il s'en va, Limayrac!
Dieux! que son frac
Est orné! Que de plaques!
Il en a de valaques!
Sur son coeur et son flanc
Que de fer-blanc!
Voici, dans sa culotte,
Qui colle, et pourtant flotte,
L'orateur contenu,
Qui va, front nu.
Pallas, tenant sa lance,
Lui dit: Ton beau silence
N'a jamais tari, mon
Cher Darimon!
Près de Camors, qui montre
Son âme de rencontre,
Madame de Chalis
Montre ses lys;
Et même, en cette foule,
Qui va comme une houle,
Joyeux, je contemplai
Monsieur Leplay,
Qu'on a pu voir, en somme,
Réclamant les sous, comme
Naguère Paul Niquet,
Au tourniquet!
Voici Veuillot. Il livre
Sa bataille. Il s'enivre
Des odeurs de Paris.
Que de paris
Pour savoir si Domange
Est celui qu'il nomme: Ange!
Ou s'il veut le tricher
Avec Richer!
Je vois, suivant sa piste,
Un bon feuilletonniste
Qui le lundi venait:
Monsieur Venet!
Il est dur, mais bien jeune!
C'est d'Augier qu'il déjeune,
Et ce dragon dînait
De Gondinet!
Puis voici les cocottes
Faisant coller leurs cottes
De satin sur des monts
Chers aux démons!
Oh! la charmante pose!
La chevelure rose
Vraiment sied encore à
Cette Cora;
Fille-de-l'Air, qui lève
Sa jambe, comme un glaive
Brillant, nous montre son
Blanc caleçon;
Sans sourciller, pour elles
L'Amour coupe ses ailes
Et dit: Je me plais où
Je vois Zouzou!
Voici... Mais, ô ma lyre,
On ne peut pas tout dire.
J'en passe et des meilleurs;
C'est comme ailleurs!
O boulevards fantasques!
Près de nous, que de masques,
Tartuffes et Scapins
Et galopins,
Et marchandes de pommes
Et Pierrots! mais des hommes
Parmi tous ces Gil Blas?
Cherchez, hélas!
Car il en est encore
Que tourmente et dévore
L'amour de ta clarté,
O vérité;
Seulement je suppose
Qu'ils ont la bouche close.
Ils n'en pensent pas moins;
Mais ces témoins,
Pour qui l'éclat sans feinte
De ta nudité sainte
Aurait seul des appas,
Ne veulent pas,
Contre tous les usages,
Parler à des visages
Ambigus, terminés
Par des faux nez!