La Balle explosible
Oui, je trouve cela plaisant!
Guerre, déesse au coeur farouche,
Qu'est-ce donc? On dit à présent
Que tu fais la petite bouche!
Quoi! nymphe du canon rayé,
Tu montres ces pudeurs risibles
Et ce petit air effrayé
Devant les balles explosibles;
Et tu crains, le tour est poli,
Que ces engins trop délétères
Ne soient pas d'un effet joli
Dans le ventre des militaires.
Toi qui pour l'horrible duel
Embouchais ton clairon sonore
Avec tant de sang-froid cruel,
Vraiment cette douceur t'honore.
Désormais en petit manteau
Il faudra t'habiller, Mégère,
Comme une Aminte de Wateau.
Prends un gai chapeau de bergère,
Et, laissant là tes mousquetons,
Dans les prés que la Seine arrose,
Fais paître les petits moutons
En filant ta quenouille rose.
Car, Déesse aux yeux aveuglants,
Tu veux bien que le canon broie
Les bataillons noirs et sanglants:
Cela, tu le veux avec joie;
Tu veux bien, parmi les sanglots,
Qu'en tes champs pleins de funérailles
Des corps troués on voie à flots
Sortir du sang et des entrailles;
Tu veux bien que sur les pavés
On trouve, en tes routes nouvelles,
Des nez coupés, des yeux crevés,
Des lambeaux épars de cervelles;
Tu veux, sous le ciel indigo,
Que ton noir cheval qu'on renomme
Foule aux pieds, comme dit Hugo,
Et l'homme, et l'homme, et l'homme, et l'homme.
Guerre, tu ne peux le nier,
D'une plaine rose et fleurie
Tu veux bien faire le charnier
De ta hideuse boucherie;
Sur tous ces détails, en effet,
Ton point de vue est homogène;
Mais, en somme, on n'est pas parfait:
La balle explosible te gêne.
Va, laisse ton coeur endurci
Et relève ton front tragique!
Prends la balle explosible aussi;
Car pourquoi manquer de logique?
Fais sauter les hommes en l'air,
Et quitte une crainte imbécile:
Mâche la mitraille et l'éclair,
O meurtrière! et sois tranquille,
Au jour fixé, quelque géant,
Un génie encore invisible
Emportera dans le néant
Tes canons, ta balle explosible,
Ton souffle de flammes, ton bruit,
Ta démence effroyable et creuse,
Et fera rentrer dans la nuit
Ta fantasmagorie affreuse!