Les Absents
Mère, puisque le Temps, ce farouche oiseleur
A dévasté les nids de notre joie en fleur,
Et puisque nous gardons toujours dans nos mémoires
Ce qui fut emporté par les Jours dérisoires,
Eh bien! songeons encore à nos bonheurs si courts!
L'absente que nos yeux pensifs cherchent toujours,
Et mon père endormi, tous ces dueils, la patrie
Saignante encore et dont la voix sanglote et crie,
Pleurant en nous, pareils à la plainte des mers,
Font que même nos jours de fête sont amers!
Pourtant le gai Printemps aux lèvres corallines
Vient, et pose déjà son pied sur les collines;
Bientôt, demain, chassant la neige et le verglas,
Il épanouira les grappes des lilas.
Une brise, déjà folle et pleine d'ivresse,
Flotte; je ne sais quelle invisible caresse
Nous effleure; voici que les airs attiédis
Ont un souffle embaumé qui vient du paradis;
Vois les cieux frissonnants, clairs, une joie immense
Charme l'azur, et tout nous parle de clémence.