PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) III Duel en juin

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Inaya
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Victor HUGO (1802-1885) III  Duel en juin  Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) III Duel en juin    Victor HUGO (1802-1885) III  Duel en juin  Icon_minitimeMer 7 Sep - 22:05

III
Duel en juin

À un ami

Jeanne a laissé de son jarret
Tomber un joli ruban rose
Qu'en vers on diviniserait,
Qu'on baise simplement en prose.

Comme femme elle met des bas,
Comme ange elle a droit à des ailes ;
Résultat : demain je me bats.
Les jours sont longs, les nuits sont belles,

On fait les foins, et ce barbon,
L'usage, roi de l'équipée,
Veut qu'on prenne un pré qui sent bon
Pour se donner des coups d'épée.

Pendant qu'aux lueurs du matin
La lame à la lame est croisée,
Dans l'herbe humide et dans le thym,
Les grives boivent la rosée.

Tu sais ce marquis insolent ?
Il ordonne, il rit. Jamais ivre
Et toujours gris ; c'est son talent.
Il faut ou le fuir, ou le suivre.

Qui le fuit a l'air d'un poltron,
Qui le suit est un imbécile.
Il est jeune, gai, fanfaron,
Leste, vif, pétulant, fossile.

Il hait Voltaire ; il se croit né
Pas tout à fait comme les autres ;
Il sert la messe, il sert Phryné ;
Il mêle Gnide aux patenôtres.

Le ruban perdu, ce muguet
L'a trouvé ; quelle bonne fête !
Il s'en est vanté chez Saguet ;
Moi, je passais par là, tout bête ;

J'analysais, précisément
Dans cet instant-là, les bastilles,
Les trônes, Dieu, le firmament,
Et les rubans des jeunes filles ;

Et j'entendis un quolibet ;
Comme il s'en donnait, le coq d'Inde !
Car on insulte dans Babet
Ce qu'on adore dans Florinde.

Le marquis agitait en l'air
Un fil, un chiffon, quelque chose
Qui parfois semblait un éclair
Et parfois semblait une rose.

Tout de suite je reconnus
Ce diminutif admirable
De la ceinture de Vénus.
J'aime, donc je suis misérable ;

Mon pouls dans mes tempes battait ;
Et le marquis riait de Jeanne !
Le soir la campagne se tait,
Le vent dort, le nuage flâne ;

Mais le poète a le frisson,
Il se sent extraordinaire,
Il va, couvant une chanson
Dans laquelle roule un tonnerre.

Je me dis : - Cyrus dégaina
Pour reprendre une bandelette
De la reine Abaïdorna
Que ronge aujourd'hui la belette.

Serais-je moins brave et moins beau
Que Cyrus, roi d'Ur et de Sarde ?
Cette reine dans son tombeau
Vaut-elle Jeanne en sa mansarde ? -

Faire le siège d'un ruban !
Quelle oeuvre ! il faut un art farouche ;
Et ce n'est pas trop d'un Vauban
Complété par un Scaramouche.

Le marquis barrait le chemin.
Prompt comme Joubert sur l'Adige,
J'arrachai l'objet de sa main.
Monsieur ! cria-t-il. Soit, lui dis-je.

Il se dressa tout en courroux,
Et moi, je pris ma mine altière.
Je suis marquis, dit-il, et vous ?
Chevalier de la Jarretière.

Soyez deux. - J'aurai mon témoin.
Je vous tue, et je vous tiens quitte.
Où ça ? Là, dans ces tas de foin.
Vous en déjeunerez ensuite.

C'est pourquoi demain, réveillés,
Les faunes, au bruit des rapières,
Derrière les buissons mouillés,
Ouvriront leurs vagues paupières.

IV

La nature est pleine d'amour,
Jeanne, autour de nos humbles joies ;
Et les fleurs semblent tour à tour
Se dresser pour que tu les voies.

Vive Angélique ! à bas Orgon !
L'hiver, qu'insultent nos huées,
Recule, et son profil bougon
Va s'effaçant dans les nuées.

La sérénité de nos coeurs,
Où chantent les bonheurs sans nombre,
Complète, en ces doux mois vainqueurs,
L'évanouissement de l'ombre.

Juin couvre de fleurs les sommets,
Et dit partout les mêmes choses ;
Mais est-ce qu'on se plaint jamais
De la prolixité des roses ?

L'hirondelle, sur ton front pur,
Vient si près de tes yeux fidèles
Qu'on pourrait compter dans l'azur
Toutes les plumes de ses ailes.

Ta grâce est un rayon charmant ;
Ta jeunesse, enfantine encore,
Éclaire le bleu firmament,
Et renvoie au ciel de l'aurore.

De sa ressemblance avec toi
Le lys pur sourit dans sa gloire ;
Ton âme est une urne de foi
Où la colombe voudrait boire.

V

Ami, j'ai quitté vos fêtes.
Mon esprit, à demi-voix,
Hors de tout ce que vous faites,
Est appelé par les bois.

J'irai, loin des murs de marbre,
Tant que je pourrai marcher,
Fraterniser avec l'arbre,
La fauvette et le rocher.

Je fuirai loin de la ville
Tant que Dieu clément et doux
Voudra me mettre un peu d'huile
Entre les os des genoux.

Ne va pas croire du reste
Que, bucolique et hautain,
J'exige, pour être agreste,
Le vieux champ grec ou latin ;

Ne crois pas que ma pensée,
Vierge au soupir étouffé,
Ne sachant où prendre Alcée,
Se rabatte sur d'Urfé ;

Ne crois pas que je demande
L'Hémus où Virgile erra.
Dans de la terre normande
Mon églogue poussera.

Pour mon vers, que l'air secoue,
Les pommiers sont suffisants ;
Et mes bergers, je l'avoue,
Ami, sont des paysans.

Mon idylle est ainsi faite ;
Franche, elle n'a pas besoin
D'avoir dans miel l'Hymète
Et l'Arcadie en son foin.

Elle chante, et se contente,
Sur l'herbe où je viens m'asseoir,
De l'haleine haletante
Du boeuf qui rentre le soir.

Elle n'est point misérable
Et ne pense pas déchoir
Parce qu'Alain, sous l'érable,
Ôte à Toinon son mouchoir.

Elle honore Théocrite ;
Mais ne se fâche pas trop
Que la fleur soit Marguerite
Et que l'oiseau soit Pierrot.

J'aime les murs pleins de fentes
D'où sortent les liserons,
Et les mouches triomphantes
Qui soufflent dans leurs clairons.

J'aime l'église et ses tombes,
L'invalide et son bâton ;
J'aime, autant que les colombes
Qui jadis venaient, dit-on,

Conter leurs métempsycoses
À Terpandre dans Lesbos,
Les petites filles roses
Sortant du prêche en sabots.

J'aime autant Sedaine et Jeanne
Qu'Orphée et Pratérynnis.
Le blé pousse, l'oiseau plane,
Et les cieux sont infinis.
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Victor HUGO (1802-1885) III Duel en juin
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