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 Victor HUGO (1802-1885) Est-ce que vous croyez que nous qui sommes là

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MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Est-ce que vous croyez que nous qui sommes là   Victor HUGO (1802-1885)  Est-ce que vous croyez que nous qui sommes là Icon_minitimeMar 27 Sep 2011 - 20:43

Est-ce que vous croyez que nous qui sommes là,
Nous que de tout son poids toujours l'ombre accabla,
Nous le noir genre humain farouche, nous la plèbe,
Nous, les forçats du sol, les captifs de la glèbe,
Nous qui, de lassitude expirants, n'avons droit
Qu'à la faim, à la soif, à l'indigence, au froid,
Qui, tués de travail, agonisons pour vivre,
Nous qu'à force d'horreur le destin sombre enivre ;
Est-ce que vous croyez que nous vous aimons, vous !
Nous vassaux, vous les rois ! nous moutons, vous les loups ?
Ah ! vraiment, ce serait curieux que des hommes
Hideux, désespérés, hagards comme nous sommes,
Nus sous leurs toits infects et leurs haillons crasseux,
Se prissent de tendresse et d'extase pour ceux
Qui les mangent, pour ceux dont leur chair est la proie,
Qui construisent avec leur douleur de la joie,
Et qui, repus, gorgés, triomphants, gais, charmants,
Bâtissent des palais avec leurs ossements !
Vous fourmillez sur nous ! vous pullulez horribles !
Ce serait un miracle à mettre dans les bibles
Que nous vous bénissions pour être dévorants
À nos dépens ; qu'un peuple eût le goût des tyrans,
Qu'une nation fût de sa honte complice,
Que la suppliciée admirât le supplice
Comme une femme adore et baise son époux,
Et qu'un lion devînt amoureux de ses poux !
Vos vices, ô tyrans, ont pour lustre vos crimes ;
Quand les rois, débauchés, ivrognes, bas, infimes,
Se sentent dégradés et vils à tous les yeux,
Vite en guerre ! et voilà des hommes glorieux !
C'est avec notre sang que leur fange se lave.
Par vous l'homme est reptile et le peuple est esclave ;
Car par vous, j'en atteste ici le bleu matin,
J'en atteste l'affreux mystère du destin
Qui pèse sur nous tous et qui nous environne,
Par vous, les porte-sceptre et les porte-couronne,
Par vous, les tout-puissants et les forts, c'est par vous
Que nous avons l'infâme écorchure aux genoux,
Que nous sommes abjects, sinistres, incurables,
Et que notre misère est faite, ô misérables !
Aussi, je vous le dis, rois, nous vous détestons !
Nous rampons dans la cave éternelle à tâtons,
Notre prunelle luit, nous sommes dans nos antres,
Maigres, pensifs, avec nos petits sous nos ventres,
Et nous songeons à vous, les rois et les barons,
Et nous vous exécrons et nous vous abhorrons !

Mais nous sommes pourtant façonnés de la sorte
Que demain, s'il advient, rois, que l'un de vous sorte
Tout à coup de la nuit avec un astre au front,
S'il est pour secourir son pays brave et prompt,
Ou s'il chante, toujours jeune et beau, malgré l'âge,
S'il est le roi David, s'il est le roi Pélage,
Nous sommes éblouis ! les oublis, les pardons,
Nous remplissent le coeur, et nous ne demandons
Rien à celui-là, rien ! Malgré notre souffrance,
S'il est grand par l'idée ou par la délivrance,
Nous l'aimons ! nous aimons sa lyre ! nous aimons
Son glaive flamboyant dans l'ombre sur les monts !
Nous pourrions lui garder rancune de vous autres ;
Mais non, nous devenons ses soldats, ses apôtres,
Ses légions, son camp, sa tribu, ses amis.
Nous lui sommes acquis, nous lui sommes soumis,
Il peut faire de nous ce qu'il veut. Dans notre âme
Nous voyons nos cités et nos hameaux en flamme
Sauvés par ce vengeur qui chasse l'étranger ;
Ou nous sentons au fond de nos haines plonger
L'hymne de paix sorti d'une bouche divine,
Notre coeur s'ouvre au chant sublime où l'on devine
Tout cet immense amour par qui le monde vit ;
Et nous suivons Pélage et nous suivons David !
Oui, pour que l'un de vous, bien qu'en nous tout réclame ;
Fasse fondre l'hiver que nous avons dans l'âme,
Pour qu'un de nos tyrans devienne un de nos dieux,
Pour que nous, qui souffrons sous le ciel radieux,
Nous fils du désespoir et fils de la patrie,
Nous servions l'un de vous avec idolâtrie,
Une chose suffit, c'est qu'on lui voie au poing
Le fer que l'étranger insolent n'attend point,
Ou que sa grande voix verse au coeur l'harmonie ;
C'est qu'il soit un héros ou qu'il soit un génie !
Rois, nous ne sommes pas plus méchants que cela.

C'est pourtant vrai ! toujours, quand un prince brilla,
Quand il eut un rayon quelconque sur la tête,
L'immense peuple altier, puissant, auguste, et bête,
S'est fait son serviteur, son chien, son courtisan.

Mais celui-ci, qu'est-il ? qu'a-t-il fait ? parlons-en.
Il est né. Bien ? Non, mal. C'est mal naître qu'entendre
Tout petit vous parler avec une voix tendre
Ceux que l'homme connaît par leur rugissement ;
C'est mal naître, c'est naître épouvantablement
Qu'être dans son berceau léché d'une tigresse ;
Par sa croissance, hélas ! donner de l'allégresse
À l'hyène, et donner de la crainte à l'agneau,
C'est mal croître, être fait de bronze, être un anneau
De la chaîne de rois que l'humanité traîne,
C'est triste ; et ce n'est point, certe, une aube sereine
Que celle qui voit naître un tyran ! Celui-ci.
Donc, mal né, vécut mal. Les gueux ont pour souci
De voler des liards, il vola des provinces.
Il a fait ce que font à peu près tous les princes,
Il a mangé, dormi, bu, tué devant lui ;
Il a régné féroce au hasard de l'ennui ;
Il fut l'homme qui frappe, opprime, égorge, exile ;
Ce fut un scélérat, ce fut un imbécile.
J'en parle simplement comme on en doit parler.
La mort savait son nom et vient de l'appeler ;
Il est là. Le tombeau, c'est l'endroit difficile ;
Ce n'est point un cachot, ce n'est point un asile ;
C'est le lieu sombre où nul n'est plus en sûreté ;
Le rendez-vous du fourbe avec la vérité,
Le rendez-vous de l'homme avec la conscience.
C'est là que l'inconnu perd enfin patience.
Vous autres vous vivez ; mais l'âme, sans le corps,
Est nue et tremble ; il faut qu'elle écoute. En dehors
Des bonnes actions qu'ils peuvent avoir faites,
S'ils ne sont ni docteurs, ni mages, ni prophètes,
Je n'ai pas de raison pour respecter les morts.
Honte aux vils trépassés que hante le remords,
Mêlé dans leur sépulcre au miasme insalubre !
Le fantôme est là seul sous le plafond lugubre,
Je m'ajoute aux vautours, je m'ajoute aux corbeaux.
Je sais que ce n'est point un de ces grands tombeaux
Où Rachel songe, où Jean médite, où pleure Électre,
Je me dresse, et je crache à la face du spectre.
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