CATULLE
Que faire au mois d'avril à moins de s'adorer ?
Viens, nous allons songer, viens, nous allons errer.
Laissons Plaute à Chloé prouver qu'il la désire
Par un triple collier de corail de Corcyre ;
Laissons Psellas charmer Fuscus par ses grands yeux,
Et par l'âpre douceur d'un chant mystérieux ;
Laissons César dompter la fortune changeante,
Mettre un mors à l'équestre et sauvage Agrigente,
Au Numide, à l'Ibère, au Scythe hasardeux ;
Ayons le doux souci d'être seuls tous les deux.
Nous avons à nous l'air, le ciel, l'ombre, l'espace.
Nous ferons arrêter le muletier qui passe,
Nous boirons dans son outre un peu de vin sabin ;
Et le soir, quand la lune, éclairant dans leur bain
La faune et la naïade indistincte, se lève,
Nous chercherons un lit pour finir notre rêve,
Une mousse cachée au fond du hallier noir.
Ô belle, rien n'existe ici-bas que l'espoir,
Rien n'est sûr que l'hymen, rien n'est vrai que la joie ;
L'amour est le vautour et nos coeurs sont la proie.
Quand, ainsi qu'y monta jadis la nymphe Hellé,
Une femme apparaît sur l'Olympe étoilé,
Les dieux donnent de tels baisers à ses épaules,
Qu'une lueur subite éclaire les deux pôles,
Et la terre comprend qu'en ce ciel redouté
L'humanité s'accouple à la divinité.
Aimons. Allons aux bois où chantent les fauvettes.
Il faut vivre et sourire, il faut que tu revêtes
Cette robe d'azur qu'on nomme le bonheur.
L'Amour est un divin et tendre empoisonneur.
Laissons ce charmant traître approcher de nos bouches
Sa coupe où nous boirons les extases farouches
Et le sombre nectar des baisers éperdus.
Les coeurs sont insensés et les cieux leur sont dus ;
Car la démence auguste et profonde des âmes
Met dans l'homme une étoile, et quand nous nous aimâmes
Nous nous sentîmes pleins de rayons infinis,
Et tu devins Vénus et je fus Adonis.
Le tremblement sacré des branches dans l'aurore
Conseille aux coeurs d'aimer, conseille aux nids d'éclore.
Il faut craindre et vouloir, chercher les prés fleuris
Et rêver, et s'enfuir, mais afin d'être pris.
Adorons-nous. Ainsi je médite et je chante.
Je songe à ta pudeur souveraine et touchante,
Je regarde attendri l'antre où tu me cédas ;
Pendant que, fatiguée à suivre nos soldats,
La Victoire, au-dessus de nous, dans la nuée,
Rattache sa sandale, un instant dénouée.