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 Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704) Oraison funèbre de messire Nicolas Cornet

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MessageSujet: Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704) Oraison funèbre de messire Nicolas Cornet   Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704) Oraison funèbre de messire Nicolas Cornet Icon_minitimeDim 15 Avr - 20:13

Oraison funèbre de messire Nicolas Cornet


Grand Maître du collège de Navarre

Prononcée dans la chapelle du collège, où il est inhumé, le 27 juin 1663.

Simile est regnum coelorum thesauro abscondito.

Le royaume des cieux est semblable à un trésor caché.

(Matth., XIII.)

Ceux qui ont vécu dans les dignités et dans les places relevées ne sont pas les
seuls d'entre les mortels dont la mémoire doit être honorée par des éloges
publics. Avoir mérité les dignités et les avoir refusées, c'est une nouvelle
espèce de dignité qui mérite d'être célébrée par toutes sortes d'honneurs; et
comme l'univers n'a rien de plus grand que les grands hommes modestes, c'est
principalement en leur faveur, et pour conserver leurs vertus, qu'il faut
épuiser toutes sortes de louanges. Ainsi l'on ne doit pas s'étonner si cette
Maison royale ordonne un panégyrique à M. Nicolas Cornet, son Grand Maître,
qu'elle aurait vu élevé aux premiers rangs de l'Eglise si, juste en toutes
autres choses, il ne s'était opposé en ce seul rencontre à la justice de nos
rois. Elle doit ce témoignage à sa vertu, cette reconnaissance à ses soins,
cette gloire publique à sa modestie; et étant si fort affligée par la perte d'un
si grand homme, elle ne peut pas négliger le seul avantage qui lui revient de sa
mort, qui est la liberté de le louer. Car comme, tant qu'il a vécu sur la terre,
la seule autorité de sa modestie supprimait les marques d'estime qu'elle eût
voulu rendre aussi solennelles que son mérite était extraordinaire, maintenant
qu'il lui est permis d'annoncer hautement ce qu'elle a connu de si près, elle ne
peut manquer à ses devoirs particuliers, ni envier au public l'exemple d'une vie
si réglée. Et moi (si toutefois vous me permettez de dire un mot de moi-même),
moi, dis-je, qui ai trouvé en ce personnage, avec tant d'autres rares qualités,
un trésor inépuisable de sages conseils, de bonne foi, de sincérité, d'amitié
constante et inviolable, puis-je lui refuser quelques fruits d'un esprit qu'il a
cultivé avec une bonté paternelle dès sa première jeunesse; ou lui dénier
quelque part dans mes discours, après qu'il en a été si souvent et le censeur et
l'arbitre? Il est donc juste, Messieurs, puisqu'on a bien voulu employer ma
voix, que je rende comme je pourrai à ce Collège Royal son Grand Maître, aux
maisons religieuses leur père et leur protecteur, à la Faculté de Théologie
l'une de ses plus vives lumières, et celui de tous ses enfants qui peut-être a
autant soutenu cette ancienne réputation de doctrine et d'intégrité qu'elle
s'est acquise par toute la terre; enfin à toute l'Eglise et à notre siècle l'un
de ses plus grands ornements.

Sortez, grand homme, de ce tombeau; aussi bien y êtes-vous descendu trop tôt
pour nous: sortez, dis-je, de ce tombeau que vous avez choisi inutilement dans
la place la plus obscure et la plus négligée de cette nef. Votre modestie vous a
trompé, aussi bien que tant de saints hommes qui ont cru qu'ils se cacheraient
éternellement en se jetant dans les places les plus inconnues. Nous ne voulons
pas vous laisser jouir de cette noble obscurité que vous avez tant aimée; nous
allons produire au grand jour, malgré votre humilité, tout ce trésor de vos
grâces, d'autant plus riche qu'il est plus caché. Car, Messieurs, vous n'ignorez
pas que l'artifice le plus ordinaire de la sagesse céleste est de cacher ses
ouvrages, et que le dessein de couvrir ce qu'elle a de plus précieux est ce qui
lui fait déployer une si grande variété de conseils profonds. Ainsi toute la
gloire de cet homme illustre, dont je dois aujourd'hui prononcer l'éloge, c'est
d'avoir été un trésor caché; et je ne le louerai pas selon ses mérites si, non
content de vous faire part de tant de lumières, de tant de grandeurs, de tant de
grâces du divin Esprit, dont nous découvrons en lui un si bel amas, je ne vous
montre encore un si bel artifice, par lequel il s'est efforcé de cacher au monde
toutes ses richesses.

Vous verrez donc Nicolas Cornet, trésor public, et trésor caché; plein de
lumière céleste et couvert, autant qu'il a pu, de nuages épais; illuminant
l'Eglise par sa doctrine et ne voulant lui faire savoir que sa seule soumission;
plus illustre, sans comparaison, par le désir de cacher toutes ses vertus que
par le soin de les acquérir et la gloire de les posséder. Enfin, pour réduire ce
discours à quelque méthode, et vous déduire par ordre les mystères qui sont
compris dans ce mot évangélique de trésor caché, vous verrez, Messieurs, dans le
premier point de ce discours les richesses immenses et inestimables qui sont
renfermées dans ce trésor; et vous admirerez dans le second l'enveloppe
mystérieuse, et plus riche que le trésor même, dans laquelle il nous l'a caché.
Voilà l'exemple que je vous propose, voilà le témoignage saint et véritable que
je rendrai aujourd'hui, devant les autels, au mérite d'un si grand homme. J'en
prends à témoin ce grand prélat, sous la conduite duquel cette grande maison
portera sa réputation. Il a voulu paraître à l'autel; il a voulu offrir à Dieu
son sacrifice pour lui. C'est ce grand prélat que je prends à témoin de ce que
je vais dire; et je m'assure, Messieurs, que vous ne me refuserez pas vos
attentions.

Ce que Jésus-Christ Notre-Seigneur a été naturellement et par excellence, il
veut bien que ses serviteurs le soient par écoulement de lui-même, et par
effusion de sa grâce. S'il est docteur du monde, les ministres en font la
fonction; et comme, en qualité de docteur du monde, en lui, dit l'Apôtre, ont
été cachés les trésors de science et de sagesse, ainsi il a établi des docteurs,
qu'il a remplis de grâce et de vérité, pour en enrichir ses fidèles; et ces
docteurs, illuminés par son Saint-Esprit, sont les véritables trésors de
l'Eglise universelle.

En effet, Chrétiens, lorsque la Faculté de Théologie est et a été si souvent
consultée en corps, et que ses docteurs particuliers le sont tous les jours,
touchant le devoir de la conscience, n'est-ce pas un témoignage authentique,
qu'autant qu'elle a de docteurs, autant devrait-elle avoir de trésors publics,
d'où l'on puisse tirer, selon les besoins et les occurrences différentes, de
quoi relever les faibles, confirmer les forts, instruire les simples et les
ignorants, confondre et réprimer les opiniâtres? Personne ne peut ignorer que ce
saint homme, dont nous parlons, ne se soit très dignement acquitté d'un si divin
ministère: ses conseils étaient droits, ses sentiments purs, ses réflexions
efficaces, sa fermeté invincible. C'était un docteur de l'ancienne marque, de
l'ancienne simplicité, de l'ancienne probité; également élevé au-dessus de la
flatterie et de la crainte, incapable de céder aux vaines excuses des pécheurs,
d'être surpris des détours des intérêts humains, aux inventions de la chair et
du sang: et comme c'est en ceci que consiste principalement l'exercice des
docteurs, permettez-moi, Chrétiens, de reprendre ici d'un plus haut principe la
règle de cette conduite.

Deux maladies dangereuses ont affligé en nos jours le corps de l'Eglise. Il a
pris à quelques docteurs une malheureuse et inhumaine complaisance, une pitié
meurtrière, qui leur a fait porter des coussins sous les coudes des pécheurs,
chercher des couvertures à leurs passions, pour condescendre à leur vanité et
flatter leur ignorance affectée. Quelques autres, non moins extrêmes, ont tenu
les consciences captives sous des rigueurs très injustes; ils ne peuvent
supporter aucune faiblesse, ils traînent toujours l'enfer après eux, et ne
fulminent que des anathèmes. L'ennemi de notre salut se sert également des uns
et des autres, employant la facilité de ceux-là pour rendre le vice aimable, et
la sévérité de ceux-ci pour rendre la vertu odieuse. Quels excès terribles, et
quelles armes opposées! Aveugles enfants d'Adam, que le désir de savoir a
précipités dans un abîme d'ignorance, ne trouverez-vous jamais la médiocrité où
la justice, où la vérité, où la droite raison a posé son trône?

Certes je ne vois rien dans le monde qui soit plus à charge à l'Eglise.
Vainement subtils qui réduisent tout l'Evangile en problèmes, qui forment des
incidents sur l'exécution de ses préceptes, qui fatiguent les casuistes par des
consultations infinies; ceux-là ne travaillent, en vérité, qu'à nous envelopper
la règle des moeurs; ce sont des hommes, dit saint Augustin, qui se tourmentent
beaucoup pour ne pas trouver ce qu'ils cherchent, Nihil laborant, nisi non
invenire quod quoerunt, et, comme dit le même saint, qui tournant s'enveloppent
eux-mêmes dans les ombres de leurs propres ténèbres, c'est-à-dire dans leur
ignorance et dans leurs erreurs, et s'en font une couverture. Mais plus
malheureux encore les docteurs, indignes de ce nom, qui adhèrent à leurs
sentiments, et donnent poids à leur folie. Ce sont des astres errants, comme
parle l'apôtre saint Jude, qui, pour n'être pas assez attachés à la route
immuable de la vérité, gauchissent et se détournent au gré des vanités, des
intérêts et des passions humaines. Ils confondent le ciel et la terre, ils
mêlent Jésus-Christ avec Bélial, ils cousent l'étoffe vieille avec la neuve,
contre l'ordonnance expresse de l'Evangile, des lambeaux de mondanité avec la
pourpre royale: mélange indigne de la piété chrétienne, union monstrueuse qui
déshonore la vérité, la simplicité, la pureté incorruptible du christianisme.

Mais que dirai-je de ceux qui détruisent, par un autre excès, l'esprit de la
piété; qui trouvent partout des crimes nouveaux, et accablent la faiblesse
humaine en ajoutant au joug que Dieu nous impose? Qui ne voit que cette rigueur
enfle la présomption, nourrit le dédain, entretient un chagrin superbe, et un
esprit de fastueuse singularité; fait paraître la vertu trop pesante, l'Evangile
excessif, le christianisme impossible? O faiblesse et légèreté de l'esprit
humain, sans point, sans consistance, seras-tu toujours le jouet des extrémités
opposées? Ceux qui sont doux deviennent trop lâches, ceux qui sont fermes
deviennent trop durs. Accordez-vous, ô docteurs; et il vous sera bien aisé,
pourvu que vous écoutiez le Docteur céleste. Son joug est doux, nous dit-il, et
son fardeau est léger. Voyez, dit saint Chrysostome, le tempérament; il ne dit
pas simplement que son Evangile soit ou pesant ou léger; mais il joint l'un et
l'autre ensemble, afin que nous entendions que ce bon maître ni ne nous décharge
ni ne nous accable, et que, si son autorité veut assujettir nos esprits, sa
bonté veut en même temps ménager nos forces.

Vous donc, docteurs relâchés, puisque l'Evangile est un joug, ne le rendez pas
si facile, de peur que, si vous êtes chargés de son poids, vos passions
indomptées ne le secouent trop facilement, et qu'ayant rejeté le joug, nous ne
marchions indociles, superbes, indisciplinés, au gré de nos désirs impétueux.
Vous aussi, docteurs trop austères, puisque l'Evangile doit être léger,
n'entreprenez pas d'accroître son poids, n'y ajoutez rien de vous-mêmes, ou par
faste, ou par caprice, ou par ignorance. Lorsque ce Maître commande, s'il charge
d'une main il soutient de l'autre: ainsi tout ce qu'il impose est léger, mais
tout ce que les hommes y mêlent est insupportable.

Vous voyez donc, Chrétiens, que, pour trouver la règle des moeurs, il faut tenir
le milieu entre les deux extrémités, et c'est pourquoi l'oracle toujours sage
nous avertit de ne nous détourner jamais ni à la droite ni à la gauche. Ceux-là
se détournent à la gauche, qui penchent du côté du vice et favorisent le parti
de la corruption: mais ceux qui mettent la vertu trop haute, à qui toutes les
faiblesses paraissent des crimes horribles, ou qui des conseils de perfection
font la loi commune de tous les fidèles, ne doivent pas se vanter d'aller
droitement, sous prétexte qu'ils semblent chercher une régularité plus
scrupuleuse; car l'Ecriture nous apprend que si l'on peut se détourner en allant
à gauche, on peut aussi s'égarer du côté de la droite, c'est-à-dire en
s'avançant à la perfection, en captivant les âmes infirmes sous des rigueurs
trop extrêmes. Il faut marcher au milieu: c'est dans ce sentier où la justice et
la paix se baisent de baisers sincères, c'est-à-dire qu'on rencontre la
véritable droiture, et le calme assuré des consciences: Misericordia et veritas
obviaverunt sibi, justitia et pax osculatoe sunt.

Il est permis aux enfants de louer leur mère, et je ne dénierai point ici à
l'Ecole de Théologie de Paris la louange qui lui est due, et qu'on lui rend
aussi par toute l'Eglise. Le trésor de la vérité n'est nulle part plus
inviolable; les fontaines de Jacob ne coulent nulle part plus incorruptibles;
elles y semblent divinement être établies avec une grâce particulière pour tenir
la balance droite et conserver le dépôt de la tradition. Elle a toujours la
bouche ouverte pour dire la vérité: elle n'épargne ni ses enfants ni les
étrangers, et tout ce qui choque la règle n'évite pas sa censure.

Le sage Nicolas Cornet, affermi dans ses maximes, exercé dans ses emplois, plein
de son esprit, nourri du meilleur suc de sa doctrine, a soutenu dignement sa
gloire et l'ancienne pureté de ses maximes. Il ne s'est pas laissé surprendre à
cette rigueur affectée, qui ne fait que des superbes et des hypocrites; mais
aussi s'est-il montré implacable à ces maximes moitié profanes et moitié
saintes, moitié chrétiennes et moitié mondaines, ou plutôt toutes mondaines et
toutes profanes, parce qu'elles ne sont qu'à demi chrétiennes et à demi saintes.
Il n'a jamais trouvé belles aucunes des couleurs de la simonie; et, pour entrer
dans l'éclat ecclésiastique, il n'a pas connu d'autre porte que celle qui est
ouverte par les saints canons. Il a condamné l'usure sous tous ses noms et sous
tous ses titres. Sa pudeur a toujours rougi de tous les prétextes honnêtes des
engagements déshonnêtes, où il n'a pas épargné le fer et le feu pour éviter les
périls des occasions prochaines. Les inventeurs trop subtils de vaines
contentions et de questions de néant, qui ne servent qu'à faire perdre, parmi
des détours infinis, la trace toute droite de la vérité, lui ont paru, aussi
bien qu'à saint Augustin, des hommes inconsidérés et volages, qui soufflent sur
de la poussière, et se jettent de la terre dans les yeux, Sufflantes pulverem,
et excitantes terram in oculos suos. Ces chicanes raffinées, ces subtilités en
vaines distinctions, sont véritablement de la poussière soufflée, de la terre
dans les yeux, qui ne font que troubler la vue. Enfin il n'a écouté aucun
expédient pour accorder l'esprit et la chair, entre lesquels nous avons appris
que la guerre doit être immortelle. Toute la France le sait, car il a été
consulté de toute la France; et il faut même que ses ennemis lui rendent ce
témoignage, que ses conseils étaient droits, sa doctrine pure, ses discours
simples, ses réflexions sensées, ses jugements sûrs, ses raisons pressantes, ses
résolutions précises, ses exhortations efficaces, son autorité vénérable et sa
fermeté invincible.

C'était donc véritablement un grand et riche trésor, et tous ceux qui le
consultaient, parmi cette simplicité qui le rendait vénérable, voyaient paraître
avec abondance dans ce trésor évangélique les choses vieilles et nouvelles, les
avantages naturels et surnaturels, les richesses des deux Testaments,
l'érudition ancienne et moderne, la connaissance profonde des saints Pères et
des scolastiques, la science des antiquités et de l'état présent de l'Eglise, et
le rapport nécessaire de l'un et de l'autre. Mais parmi tout cela, Messieurs,
rien ne donnait plus d'autorité à ses décisions que l'innocence de sa vie: car
il n'était pas de ces docteurs licencieux dans leurs propres faits, qui, se
croyant suffisamment déchargés des bonnes oeuvres par les bons conseils,
n'épargnent ni ne ménagent la bonne conscience des autres, indignes
prostituteurs de leur intégrité. Au contraire Nicolas Cornet ne se pardonnait
rien à lui-même, et pour composer ses moeurs il entrait dans les sentiments de
la justice, de la jalousie, de l'exactitude d'un Dieu qui veut rendre la vérité
redoutable. Nous savons que dans une affaire de ses amis, qu'il avait
recommandée comme juste, craignant que le juge, qui le respectait, n'eût trop
déféré à son témoignage et à sa sollicitation, il a réparé de ses deniers le
tort qu'il reconnut, quelque temps après, avoir été fait à la partie: tant il
était lui-même sévère censeur de ses bonnes intentions!

Que vous dirai-je maintenant, Messieurs, de sa régularité dans tous ses autres
devoirs? Elle paraît principalement dans cette admirable circonspection qu'il
avait pour les bénéfices: bien loin de les désirer, il crut qu'il en aurait trop
quand il en eut pour environ douze cents livres de rente. Ainsi il se défit
bientôt de ses titres, voulant honorer en tout la pureté des canons et servir à
la sainteté et à l'ordre de la discipline ecclésiastique. Tant qu'il les a
tenus, les pauvres et les fabriques en ont presque tiré tout le fruit. Pour ce
qui touchait sa personne, on voyait qu'il prenait à tâche d'honorer le seul
nécessaire, par un retranchement effectif de toutes les superfluités: tellement
que ceux qui le consultaient, voyant cette sagesse, cette modestie, cette
légalité de ses moeurs, le poids de ses actions et de ses paroles, enfin cette
piété et cette innocence qui, dans la plus grande chaleur des partis, étaient
toujours demeurés sans reproche, et admirant le consentement de sa vie et de sa
doctrine, croyaient que c'était la justice même qui parlait par sa bouche, et
ils révéraient ses réponses comme des oracles d'un Gerson, d'un Pierre d'Ailly,
et d'un Henri de Gand. Et plût à Dieu, Messieurs, que le malheur de nos jours ne
l'eût jamais arraché de ce paisible exercice!

Vous le savez, juste Dieu, vous le savez, que c'est malgré lui que cet homme
modeste et pacifique a été contraint de se signaler parmi les troubles de votre
Eglise. Mais un docteur ne peut pas se taire dans la cause de la foi; et il ne
lui était pas permis de marquer en une occasion où sa science exacte et profonde
et sa prudence consommée ont paru si fort nécessaires. Je ne puis non plus
omettre en ce lieu le service très important qu'il a rendu à l'Eglise, et je me
sens obligé de vous exposer l'état de nos malheureuses dissensions, quoique je
désirerais beaucoup davantage de les voir ensevelies éternellement dans l'oubli
et dans le silence. Quelle effroyable tempête s'est excitée en nos jours,
touchant la grâce et le libre arbitre! Je crois que tout le monde ne le sait que
trop, et il n'y a aucun endroit si reculé de la terre où le bruit n'en ait
répandu. Comme presque le plus grand effort de cette nouvelle tempête tomba dans
le temps qu'il était syndic de la Faculté de Théologie, voyant les vents
s'élever, les nues s'épaissir, les flots s'enfler de plus en plus, sage,
tranquille et posé qu'il était, il se mit à considérer attentivement quelle
était cette nouvelle doctrine et quelles étaient les personnes qui la
soutenaient. Il vit donc que saint Augustin, qu'il tenait le plus éclairé et le
plus profond de tous les docteurs, avait exposé à l'Eglise une doctrine toute
sainte et apostolique touchant la grâce chrétienne; mais que, ou par la
faiblesse naturelle de l'esprit humain, ou à cause de la profondeur ou de la
délicatesse des questions, ou plutôt par la condition nécessaire et inséparable
de notre foi, durant cette nuit d'énigmes et d'obscurités, cette doctrine
céleste s'est trouvée nécessairement enveloppée parmi des difficultés
impénétrables: si bien qu'il y avait à craindre qu'on ne se fût jeté
insensiblement dans des conséquences ruineuses à la liberté de l'homme. Ensuite
il considéra avec combien de raison toute l'Ecole et toute l'Eglise s'étaient
appliquées à défendre les conséquences; et il vit que la Faculté des nouveaux
docteurs en était si prévenue qu'au lieu de les rejeter ils en avaient fait une
doctrine propre: si bien que la plupart de ces conséquences, que tous les
théologiens avaient toujours regardées jusqu'alors comme des inconvénients
fâcheux, au devant desquels il fallait aller pour bien entendre la doctrine de
saint Augustin et de l'Eglise, ceux-ci les regardaient au contraire comme des
fruits nécessaires qu'il en fallait recueillir; et que ce qui avait paru à tous
les autres comme des écueils contre lesquels il fallait craindre d'échouer le
vaisseau, ceux-ci ne craignaient point de nous le montrer comme le port
salutaire auquel devait aboutir la navigation. Après avoir ainsi regardé la face
et l'état de cette doctrine, que les docteurs, sans doute, reconnaîtront bien
sur cette idée générale, il s'appliqua à connaître le génie de ses défenseurs.
Saint Grégoire de Nazianze, qui lui était fort familier, lui avait appris que
les troubles ne naissent pas dans l'Eglise par des âmes communes et faibles: Ce
sont, dit-il, de grands esprits, mais ardents et chauds, qui causent ces
mouvements et ces tumultes; mais ensuite, les décrivant par leurs caractères
propres, il les appelle excessifs, insatiables, et portés plus ardemment qu'il
ne faut aux choses de la religion: paroles vraiment sensées, et qui nous
représentent au vif le naturel de tels esprits.

Vous êtes étonnés peut-être d'entendre parler de la sorte un si saint évêque.
Car, Messieurs, nous devons entendre que si l'on peut avoir trop d'ardeur, non
point pour aimer la saine doctrine, mais pour l'éplucher de trop près et pour la
rechercher trop subtilement, la première partie d'un homme qui étudie les
vérités saintes, c'est de savoir discerner les endroits où il est permis de
s'étendre, et où il faut s'arrêter tout court, et se souvenir des bornes
étroites dans lesquelles est resserrée notre intelligence: de sorte que la plus
prochaine disposition à l'erreur est de vouloir réduire les choses à la dernière
évidence de la conviction. Mais il faut modérer le feu d'une mobilité inquiète,
qui cause en nous cette intempérance et cette maladie de savoir, et être sages
sobrement et avec mesure, selon le principe de l'Apôtre, et se contenter
simplement des lumières qui nous sont données plutôt pour réprimer notre
curiosité que pour éclaircir tout à fait le fond des choses. C'est pourquoi ces
esprits extrêmes, qui ne se lassent jamais de chercher, ni de discourir, ni de
disputer, ni d'écrire, saint Grégoire de Nazianze les a appelés excessifs et
insatiables.

Notre sage et avisé syndic jugea que ceux desquels nous parlons étaient à peu
près de ce caractère: grands hommes, éloquents, hardis, décisifs, esprits forts
et lumineux, mais plus capables de pousser les choses à l'extrémité que de tenir
le raisonnement sur le penchant et plus propres à commettre ensemble les vérités
chrétiennes qu'à les réduire à leur unité naturelle; tels enfin, pour dire en un
mot, qu'ils donnent beaucoup à Dieu et que c'est pour eux une grande grâce de
céder entièrement à s'abaisser sous l'autorité suprême de l'Eglise et du Saint-
Siège. Cependant les esprits s'émeuvent, et les choses se mêlent de plus en
plus. Ce parti zélé et puissant charmait du moins agréablement, s'il n'emportait
tout à fait la fleur de l'Ecole et de la jeunesse; enfin, il n'oubliait rien
pour entraîner après soi toute la Faculté de Théologie.

C'est ici qu'il n'est pas croyable combien notre sage Grand Maître a travaillé
utilement parmi ces tumultes, convainquant les uns par sa doctrine, retenant les
autres par son autorité, animant et soutenant tout le monde par sa constance; et
lorsqu'il parlait en Sorbonne dans les délibérations de la Faculté, c'est là
qu'on reconnaissait, par expérience, la vérité de cet oracle: "La bouche de
l'homme prudent est désirable dans les assemblées, et chacun pèse toutes ses
paroles en son coeur": Os prudentis quoeritur in ecclesia, et verba illius
cogitabunt in cordibus suis. Car il parlait avec tant de poids, dans une si
belle suite, d'une manière si considérée, que même ses ennemis n'avaient point
de prise. Au reste il s'appliquait également à démêler la doctrine, et à
prévenir les pratiques par sa sage et admirable prévoyance; en quoi il se
conduisait avec une telle modération qu'encore qu'on n'ignorât pas la part qu'il
avait en tous les conseils, toutefois à peine aurait-il paru, n'était que ses
adversaires, en le chargeant publiquement presque de toute la haine, lui
donnèrent aussi malgré lui-même la plus grande partie de la gloire. Et certes,
il est véritable qu'aucun n'était mieux instruit du point décisif de la
question. Il connaissait très parfaitement et les confins et les bornes de
toutes les opinions de l'Ecole, jusqu'où elles concouraient, et où elles
commençaient à se séparer. Surtout il avait grande connaissance de la doctrine
de saint Augustin et de l'école de saint Thomas. Il connaissait les endroits par
où ces nouveaux docteurs semblaient tenir les limites certaines, par lesquels
ils s'en étaient divisés. C'est de cette expérience, de cette exquise
connaissance et du concert des meilleurs cerveaux de la Sorbonne que nous est né
cet extrait de ces cinq propositions, qui sont comme les justes limites par
lesquelles la vérité est séparée de l'erreur et qui, étant pour ainsi parler le
caractère propre et singulier des nouvelles opinions, ont donné le moyen à tous
les autres de courir unanimement contre leurs nouveautés inouïes.

C'est donc ce consentement qui a préparé les voies à ces grandes décisions que
Rome a données; à quoi notre très sage docteur, par la créance qu'avait même le
souverain pontife à sa parfaite intégrité, ayant si utilement travaillé, il en a
aussi avancé l'exécution avec une pareille vigueur, sans s'abattre, sans se
détourner, sans se ralentir: si bien que par son travail, sa conduite, et par
celle de ses fidèles coopérateurs, ils ont été contraints de céder. On ne fait
plus aucune sortie, on ne parle plus que de paix. O qu'elle soit véritable! ô
qu'elle soit effective! ô qu'elle soit éternelle! Que nous puissions avoir
appris par expérience combien il est dangereux de troubler l'Eglise, et combien
on outrage la saine doctrine quand on l'applique malheureusement parmi des
extrêmes conséquences! Puissent naître de ces conflits des connaissances plus
nettes, des lumières plus distinctes, des flammes de charité plus tendres et
plus ardentes, qui rassemblent bientôt en un, par cette véritable concorde, les
membres dispersés de l'Eglise!

Mais je reviens à celui qui nous fournit à ce jour une si riche matière de
justes louanges. Quelqu'un entendant son panégyrique, voyant tant de grands
services qu'il a rendus à l'Eglise, et découvrant en ce personnage un si
admirable trésor de rares et excellentes qualités, murmurera peut-être en secret
de ce qu'une lumière si vive n'a pas été exposée plus haut sur le chandelier, et
déclamera en son coeur contre l'injustice du siècle. Cette plainte paraît
équitable, mais je dois néanmoins la faire cesser. Vous qui paraissez indignés
qu'une vertu si rare n'a pas été couronnée, n'avez-vous pas entendu que j'ai
dit, au commencement de ce discours, que ce grand homme s'était éloigné de
toutes les dignités? Je l'ai dit, et je le dis encore une fois, le siècle n'a
pas été injuste; mais Nicolas Cornet a été modeste. On a recherché son humilité,
mais il n'y a pas eu moyen de la vaincre. Nos rois ont connu son mérite, l'ont
voulu reconnaître; mais on n'a pu le résoudre à recevoir d'une main mortelle,
quoique royale, les ministres et les prélats concourant également à l'estimer.
Je pourrais ici alléguer cet illustre prélat qui fera paraître bientôt une
nouvelle lumière dans le siège de saint Denis et de saint Marcel, et qui a cette
noble satisfaction de voir croître tous les jours sa gloire avec celle de notre
monarque. Quand je considère les grands avantages qui lui ont été offerts, je ne
puis que je n'admire cette vie modeste, et je ne vois pas dans notre siècle un
plus bel exemple à imiter.

Les deux augustes cardinaux qui ont soutenu la majesté de cet empire ont voulu
donner la récompense qui était due à son mérite; mais il a tout refusé.

Le premier, l'ayant appelé, lui fit des offres dignes de Son Eminence. Le second
l'ayant présenté à notre auguste reine, mère de notre invincible monarque, lui
proposa ses intentions pour une prélature; mais il remercia Sa Majesté et Son
Eminence, déclarant qu'il n'avait pas les qualités naturelles et surnaturelles
nécessaires pour les grandes dignités. Vous voyez par là quelle a été son
humilité, et combien il a été soigneux de cacher les illustres avantages qu'il
avait reçus de Dieu, puisque même il allait jusqu'au devant des propositions
qu'on lui voulait faire.

Et, Messieurs, permettez-moi que je fasse une petite digression. J'ai vu un
grand homme mépriser ce qu'il y a de plus éclatant dans le siècle; et cependant
je vois une jeunesse emportée, qui n'a de toutes les qualités nécessaires que
des désirs violents pour s'élever aux charges ecclésiastiques, sans considérer
si elle pourra s'acquitter des obligations qui sont attachées à ces dignités. On
emploie tous les amis, on brigue la faveur des princes, on croit que c'est assez
de monter sur le trône de Pharaon, comme Joseph, pour gouverner l'Egypte; mais
il faut, comme lui, avoir été dans le cachot avant que d'être le favori de
Pharaon. Ah! modération de Cornet, tu dois bien confondre cette jeunesse
aveuglée: on t'a présenté des dignités, et tu les as refusées. Rara virtus,
humilitas honorata! Que c'est une chose rare de voir une personne humble, quand
elle est élevée dans l'honneur! Notre Grand Maître a eu cette vertu pendant sa
vie; mais, parce qu'il s'est humilié, il faut qu'il soit glorifié après sa mort.

Le Fils de Dieu, qui n'a prononcé que des oracles, a dit que celui qui s'humilie
sera exalté: Qui se humiliat exaltabitur. Nicolas Cornet, ayant été humble toute
sa vie, est ou sera bientôt en possession de la gloire. Comme il a eu
l'humilité, il a eu toutes les autres vertus dont elle est le fondement. Il a
été sage dès son enfance; la pudeur est née avec lui: il a voué sa virginité à
Dieu dès ses plus tendres années; il a suivi le conseil de saint Paul, qui
ordonne à tous les chrétiens de se consacrer à Dieu comme des hosties saintes et
vivantes: Obsecro vos, per misericordiam Dei, ut exhibeatis corpora vestra
hostiam viventem, sanctam, etc. Il fit un sacrifice de son corps et de son âme à
Dieu: il consacra son entendement à la foi, sa mémoire au souvenir éternel de
Dieu, sa volonté à l'amour, son corps au jeûne et à la piété. Il fut simple dans
ses discours, inviolable dans sa parole, incorruptible dans sa foi, fidèle aux
exercices de l'oraison, et surtout attaché aux affaires de notre salut.

Ah! Sainte Vierge, je vous en prends à témoin: vous savez combien de nuits il a
été prosterné au pied de vos autels, combien il a imploré votre assistance pour
le soulagement des pauvres peuples et pour la consolation des affligés.

Ce grand homme, cette âme forte et solide, qui savait que Jésus-Christ nous a
recommandé d'être des lumières, c'est-à-dire de donner de bons exemples, et
d'ailleurs que notre vie doit être cachée, c'est-à-dire doit être humble, a
pratiqué parfaitement ces deux préceptes. Il fut humble et exemplaire: il
faisait quelques petites aumônes en public pour édifier le prochain, mais en
particulier il en faisait de grandes; il était le protecteur des pauvres et le
soulagement des hôpitaux. Voilà les vertus qu'il a cachées.

Je ne parle point du respect envers notre monarque, de sa soumission à l'Eglise,
de son amour immense envers son prochain. Il est certain que la France n'a pas
eu d'âme plus française que la sienne et que l'Etat n'a point eu d'esprit plus
attaché à son prince que le sien. Mais il ne s'est pas contenté de cette
fidélité qui a duré toute sa vie; il a, avant que de mourir, inspiré son esprit
à cette Maison royale.

Je ne finirais jamais, Messieurs, si je voulais faire le dénombrement de toutes
ses belles qualités. Finissons, et voyons à quelle fin on m'a obligé de faire
cet éloge funèbre. Quel fruit faut-il tirer de ce discours? Ah! Messieurs, je ne
suis monté en cette chaire que pour vous proposer ses vertus pour exemple.
Heureux seront ceux qui vivront comme il a vécu! heureux seront ceux qui
pratiqueront les vertus qu'il a pratiquées! heureux seront ceux qui mépriseront
les charges et les titres que le monde recherche! heureux seront ceux qui
retranchent les choses superflues! heureux seront ceux qui ne s'enivrent pas de
la fumée du siècle! heureux seront ceux qui ne vont pas se plonger dans la boue
des plaisirs du monde! C'est ce que ce grand homme a fait, et que vous devez
faire. Pourquoi, homme du monde, vous arrêter à un plaisir d'un moment? pourquoi
occuper tous vos soins et toutes vos pensées pour amasser des choses que vous
n'emporterez pas? pourquoi assiéger tous les matins la porte des grands? Ne
pensez qu'à une seule chose. C'est le Fils de Dieu qui l'a dit: Porro unum est
necessarium, il n'y a qu'une chose nécessaire; il n'y a qu'une chose importante,
qui est notre salut. In me unicum negotium mihi est, dit Tertullien, je n'ai
qu'une affaire, et cette affaire est bien secrète; elle est dans le fond de mon
coeur, c'est une affaire qui se doit passer entre Dieu et moi; et, comme elle
est de si grande importance, elle doit toute ma vie, tous les jours, toutes les
heures, à tout moment occuper mes soins et mes pensées.

Voilà, Messieurs, l'affaire à laquelle s'est occupé Nicolas Cornet. Entrez dans
les sentiments de ce grand homme, imitez ses vertus, pratiquez l'humilité comme
lui, aimez l'obscurité comme il l'a aimée.

Mais, avant que de finir, il faut que je m'adresse à toi, royale Maison, et que
je te dise deux mots. Célèbre sa mémoire, conserve son souvenir et, si je puis
demander quelque récompense pour ses travaux, imite ses vertus, va croissant de
perfection en perfection. Ce grand exemple est digne d'être imité. Mais je me
trompe: tu l'imites et dans sa doctrine et dans ses moeurs; continue et
persévère.

Et vous, grandes mânes, je vous appelle, sortez de ce tombeau. Je crois que vous
êtes dans la gloire; mais si vous n'êtes pas encore dans le sanctuaire, vous y
serez bientôt. Nous allons tous offrir à Dieu des sacrifices pour votre repos.
Souvenez-vous de cette Maison royale, que vous avez si tendrement chérie, et lui
procurez les bénédictions du ciel. C'est ce que je vous souhaite au nom du Père
et du Fils et du Saint-Esprit. Amen.
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Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704) Oraison funèbre de messire Nicolas Cornet
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