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 William Chapman (1850-1917) Les bûcherons

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MessageSujet: William Chapman (1850-1917) Les bûcherons   William Chapman (1850-1917) Les bûcherons Icon_minitimeMar 22 Mai - 22:07

Les bûcherons



Le firmament d'automne est noir d'épais nuages,
Et les oiseaux, frileux, ont quitté nos bocages.
Avec eux sont partis les rudes bûcherons;
Prodigues de courage autant que de jurons,
Les hommes de chantier, à la mâle stature,
Que tourmente toujours la soif de l'aventure.
Par groupes de cinquante et plus, au fond des bois,
Les voyageurs d'en haut sont campés, pour cinq mois,
Au pied d'altiers coteaux, à l'abri des rafales,
Dans des log houses faits de pièces colossales
Qu'ils viennent de tailler dans les cèdres voisins.

Vlan! vlan! vlan!. Les bucheux, chaussés de mocassins,
Frappent à toute étreinte, et les vieux pins sublimes,
Dans le creux des vallons, sur les pentes, les cimes,
Croulent avec un bruit sinistre, assourdissant,
Pendant que les sondeurs, plongeant leur oeil perçant
A travers les fourrés du grand désert sauvage,
S'approchent des géants voués à l'abattage,
Et, les blessant au flanc, les marquent d'une croix.

La neige maintenant tombe, et sous les vents froids
Son épais linceul blanc poudroie et tourbillonne.
Sur ce linceul, d'aspect lugubre et monotone,
Parfois aussi mouvant et traître que les flots,
Les lourds chevaux, fumants, halent les lourds billots

Sur de doubles traîneaux munis d'énormes chaînes
Et de pesants leviers tirés du coeur des chênes,
Après que les claireurs, tout couverts de verglas,
Fougueux, le godendard ou la cognée aux bras,
Ont scié les corps morts ou rasé les fardoches.
Les billots sont traînés aux torrents les plus proches,
Entassés sur leurs bords en immenses monceaux,
Pour être charriés, au printemps, par des eaux
Qu'enflent les ruisselets de la neige fondue
Aux feux d'avril flambant sur la fauve étendue.
Et les pans de forêt, renversés par le fer
Des bûcherons au torse aussi souple que fier,
Atteindront, en glissant de rapide en rapide,
Les flots ensoleillés du Saint-Laurent limpide,
Et de là, dans les flancs des lourds léviathans
Dont l'âme, la vapeur, émeut les océans,
Iront alimenter les chantiers du vieux monde,

De la lueur de l'aube à la noirceur profonde,
Parmi les pins glacés, de givre éblouissants,
Les âpres travailleurs se meuvent en tous sens,
- Comme des spectres blancs à travers de hauts marbres, -
Abattant, tronçonnant, charroyant les grands arbres;
Et quand le porte-voix du couque retentit
Pour le souper, les gars, au vorace appétit,
S'élancent vers le camp d'un pied léger qui vole,
Bruyants comme écoliers au sortir de l'école.
Bientôt, rangés le long d'un lourd tréteau de bois,
Où fument le café, les beans, la soupe aux pois,
Après s'être signés devant un christ énorme
Qu'un bucheux a taillé dans le rameau d'un orme

Et qu'avec un fragment de sanguine il a peint,
Ils reprennent, goulus, l'abattage du. pain.
Ils mangent bruyamment, le nez dans la micouenne.
Et, tout en s'empiffrant, pleins d'humour, bien en veine,
Se lancent des brocards tranchants comme l'acier
De leurs haches. - Dis donc, Télesphore Tessier,
T'es-tu fait décoller encor par Jean Carrière?
Pour ne pas travailler, t'es-tu caché derrière
Les arrachis, Couture? - Et toi, François Bernard,
Est-ce demain matin que tu fais le renard?
- Ferme ta boîte, cancre! - Et toi, bouche ta bonde!
- J'ai lu pour mon voisin des lettres de sa blonde:
La petite doit être en peine de sa peau
Pour vouloir marier Stanislas Galipeau -
Et le rire gaulois d'éclater à la table
Avec un bruit croissant, persistant, formidable;
Et, tant que le repas dure, les gais lurons
Se criblent de lazzis mêlés à des jurons,
Pendant qu'au guet le boss, ahuri, fait sa lippe.

La fringale assouvie, ils allument leur pipe.
Les uns font cercle autour du feu du campement;
D'autres, les amoureux, cherchent l'isolement,
Pour évoquer en paix l'image de leurs belles;
D'autres, près du bûcher, causent de bagatelles
Dans un joyeux colloque où volent des mots fous;
D'autres, un vieux damier posé sur leurs genoux,
Sont engagés, fiévreux, dans une joute épique,
Où le vainqueur pour prix doit gagner une chique;
A l'écart les doyens, inlassables jaseurs,
Racontent les exploits de leurs prédécesseurs,

Et vantent Montferrand, Grenache, Éthier, Labrie;
Et, dominant parfois la longue causerie,
La note d'un crincrin, timidement raclé
Par quelque débutant dans un coin reculé,
Vient réveiller l'ardeur d'un gigueur mis en joie;
Ou bien, assis devant le brasier qui rougeoie,
Un des claireurs, le front pensif et soucieux,
Se met à fredonner la complainte à Cadieux,
Ce poème naïf trouvé sur le squelette
D'un trappeur qui, perdu sous la forêt muette,
L'avait écrit, au bord de sa fosse, la nuit.

L'heure passe. Le boss vient de crier: Minuit!
Et les ardents joueurs abandonnent les dames.
Le feu ne jette plus que d'indécises flammes.
Avec elles s'éteint par degrés maints propos:
Et déjà quelques vieux, désireux de repos,
Fatigués de fumer et de tourner leurs pouces,
S'étendent sur leur lit de branches et de mousses.

Soudain, frappant trois coups sur un banc déserté,
Un doyen dit avec calme et simplicité:

- Allons, les p'tits enfants, un p'tit bout de prière! -

Alors tous ces rustauds à l'écorce grossière,
Dont les sacres sans nombre épicent les discours,
Mais qui gardent encor la foi des anciens jours,
Qui narguent la fureur des ouragans polaires
Renversant à leurs pieds les arbres séculaires,
Et sauraient lancer même au diable des défis,

Viennent s'agenouiller auprès du crucifix.
Aussitôt un lent, doux et caressant murmure,
Pareil à la rumeur de l'onde qui susurre
En couvrant de baisers le rivage dormant,
S'exhale par le toit mal clos du logement,
Se répand sous les bois silencieux et mornes,
Et monte vers l'azur de la plaine sans bornes
Où des nuages blancs déroulent leur toison;
Et pendant que s'élève au ciel cette oraison
Pleine de la ferveur qui brûlait les ancêtres,
La lune, sur les pins, les cèdres et les hêtres,
Dressant avec lenteur son flambeau souverain,
Resplendit d'un éclat plus vif et plus serein,
Les étoiles sans nombre ont l'air d'avoir une âme,
Semblent avec amour fixer leur oeil de flamme,
Doux comme tout regard où le ciel transparaît,
Sur le modeste abri perdu dans la forêt.

À peine l'aube glisse à travers la pinière
Les tremblantes blancheurs de sa lueur première,
Que le boss est debout, que chaque bûcheron
Est à table, appelant à grands cris le mitron
Qui sue et se morfond à découper les miches.
Las de gifler et las de se faire des niches,
Les travailleurs dispos et toujours courageux
S'enfoncent en chantant dans les fourrés neigeux.
Le désert à nouveau tressaille sous la hache.
Vlan! vlan!. Chaque jour voit recommencer la tâche
Des bûcherons, captifs superbes du devoir.
Déjà toute une part du grand bois vient de choir,
Déjà Noël, Noël que la jeunesse adore,

Sous le toit enfumé met des reflets d'aurore.
Et l'on fête, et l'on danse au son du violon.
Mais, comme le chômage au camp n'est jamais long,
Le lendemain matin, émus de quelques rondes,
Heureux d'avoir causé tout un jour de leurs blondes,
Pleins de l'espoir qu'apporte au coeur le nouvel an,
Les gars frappent encore à tour de bras. Vlan! vlan!
Et les grands pins rugueux tombent toujours en foule
Avec les craquements d'un monde qui s'écroule.

Notre hiver boréal, si long, si rigoureux,
Passe bien lentement pour ce groupe de preux
Que, malgré leur gaîté, la nostalgie assiège;
Et dès que le soleil de Pâques fond la neige,
Que le torrent grossi commence de hurler!
Le vent de s'attiédir, l'érable de couler,
Un matin, les vaillants, courbés sous leur bagage,
Reprennent, tout joyeux, le chemin du village,
Où, pour les recevoir, vont s'ouvrir bien des bras,
Ou les bons vieux parents ont tué le veau gras.
Bientôt plus d'un gaillard, fidèle à sa promise,
Endimanché de neuf, met les bans à l'église.
Et la noce commence, et, durant trois longs jours,
D'ardents violoneux, venus des alentours,
Marquant d'un talon leste et bruyant la cadence,
Versent leur symphonie à maint couple qui danse,
Des compagnons de camp taquinent les époux,
Trinquant, chantant, mettant tout sens dessus dessous,
Malgré l'aïeul qui prêche et le curé qui tonne.

Le nouveau paroissien, aux premiers vents d'automne,

Repart pour le désert avec ses fiers copains
Pour y continuer la coupe des grands pins.
Il passe trois hivers sous l'immense futaie.
L'épouse, ménagère, épargne sur la paie.
Et, bientôt satisfait d'un pécule léger,
Rassasié des beans, brûlant de se ranger,
Le voyageur ira se tailler un domaine
Dans la sérénité d'une combe lointaine
Témoin de ses labeurs, sur un sol où souvent,
La nuit, pensif, l'oreille ouverte au bruit du vent
A travers les hauts fûts argentés par la lune,
Il rêva de venir ériger sa fortune.

Devenu défricheur, le rude villageois
Des assauts de sa hache éveille encor les bois,
Et, sitôt que juillet a séché le feuillage
Des géants renversés sur la mousse sauvage,
Il y déchaîne un feu qui ravage d'abord
Et fertilise après; et, tout fier de son sort,
Au printemps, le colon, suivi de sa colonne,
Va herser, plein d'espoir, sous un ciel qui rayonne,
Un terroir où le blé doit produire à foison;
Et pendant que prospère et mûrit la moisson,
Il bâtit sur son lot une hutte grossière
Qui pour le couple aimant longtemps restera chère.

Et vingt-cinq ans plus tard, il tiendra, triomphant,
Sur les fonts baptismaux son dix-huitième enfant.
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William Chapman (1850-1917) Les bûcherons
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