Sous bois
À Georges Bellerive.
Le premier gel d'automne a mordu la forêt.
Les feuillages sanglants ont la froideur des marbres.
Un lambeau de soleil à peine transparaît
À travers les rameaux échevelés des arbres.
Des frissons douloureux traversent le grand bois.
On croirait que l'écho redit des cris d'alarme;
Et d'instant en instant une feuille aux abois
Tombe comme une larme.
Immense église en deuil ouverte à tous les vents,
Et dont la bise aurait déchiré les tentures,
Le grand bois est désert, et les arceaux mouvants
Ont perdu leurs rayons, leurs chansons, leurs murmures.
Sous l'ogive des pins, des ormes, des bouleaux,
Ainsi qu'un orgue ronfle et gémit la rafale,
Et ses grands bruits voilés semblent les longs sanglots
D'une ombre sépulcrale.
À travers la vapeur qui flotte entre les fûts
Comme un crêpe onduleux voilant chaque ramure,
Sur le sol ténébreux, dans les halliers touffus,
Tout se métamorphose et tout se transfigure.
Des troncs d'arbres géants, çà et là renversés,
Que la mousse et l'oubli couvrent de leur suaire,
Sont les tombeaux verdis, mornes et délaissés
D'un vaste cimetière.
Partout des taches d'eau rayonnent vaguement
Sur les feuilles qui font un linceul à la terre:
Devant leur froid éclat on dirait par moment
Des étoiles d'argent sur un drap mortuaire.
Brouillard nacré sorti d'un encensoir fumant,
La brume des fourrés enveloppe les dômes,
Et dans ses longs replis silencieusement
Glissent de blancs fantômes.
Et les feuilles du bois en pleurs tombent toujours;
Chaque massif se plaint, râle et tord ses branchages.
Et la vaste clameur, frappant les échos sourds,
Comme un Dies irae monte vers les nuages.