PLUME DE POÉSIES
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 François-René De Chateaubriand (1768-1848) Livre II I Argument.

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François-René De Chateaubriand (1768-1848) Livre II I  Argument. Empty
MessageSujet: François-René De Chateaubriand (1768-1848) Livre II I Argument.   François-René De Chateaubriand (1768-1848) Livre II I  Argument. Icon_minitimeJeu 31 Mai - 23:25

Livre III


Argument.


Dieu, siégeant sur son trône, voit Satan qui vole vers ce monde nouvellement
créé. Il le montre à son Fils, assis à sa droite. Il prédit le succès de Satan,
qui pervertira l'espèce humaine. L'Eternel justifie sa justice et sa sagesse de
toute imputation, ayant créé l'homme libre et capable de résister au Tentateur.
Cependant il déclare son dessein de faire grâce à l'homme, parce qu'il n'est pas
tombé par sa propre méchanceté, comme Satan, mais par la séduction de Satan. Le
Fils de Dieu glorifie son Père pour la manifestation de sa grâce envers l'Homme;
mais Dieu déclare encore que cette grâce ne peut être accordée à l'Homme si la
justice divine ne reçoit satisfaction: l'Homme a offensé la majesté de Dieu en
aspirant à la divinité; et c'est pourquoi, dévoué à la mort avec toute sa
postérité, il faut qu'il meure, à moins que quelqu'un ne soit trouvé capable de
répondre pour son crime et de subir sa punition. Le Fils de Dieu s'offre
volontairement pour rançon de l'Homme. Le Père l'accepte, ordonne l'Incarnation,
et prononce que le Fils soit exalté au-dessus de tous, dans le ciel et sur la
terre. Il commande à tous les anges de l'adorer. Ils obéissent, et, chantant en
choeur sur leurs harpes, ils célèbrent le Fils et le Père. Cependant Satan
descend sur la convexité nue de l'orbe le plus extérieur de ce monde, où, errant
le premier, il trouve un lieu appelé dans la suite le limbe de vanité: quelles
personnes et quelles choses volent à ce lieu. De là l'ennemi arrive aux portes
du Ciel. Les degrés par lesquels on y monte décrits, ainsi que les eaux qui
coulent au-dessus du firmament. Passage de Satan à l'orbe du Soleil. Il y
rencontre Uriel, régent de cet orbe, mais il prend auparavant la forme d'un ange
inférieur, et prétextant un pieux désir de contempler la nouvelle création et
l'Homme que Dieu y a placé, il s'informe de la demeure de celui-ci: Uriel l'en
instruit. Satan s'abat d'abord sur le sommet du mont Niphates.


Salut, Lumière sacrée, fille du Ciel, née la première, ou de l'Eternel rayon
coéternel! Ne puis-je pas te nommer ainsi sans être blâmé? Puisque Dieu est
lumière, et que de toute éternité il n'habita jamais que dans une lumière
inaccessible, il habita donc en toi, brillante effusion d'une brillante essence
incréée. Ou préfères-tu t'entendre appeler ruisseau de pur éther? Qui dira ta
source? Avant le soleil, avant les cieux, tu étais, et à la voix de Dieu, tu
couvris comme d'un manteau le monde s'élevant des eaux ténébreuses et profondes;
conquête faite sur l'infini vide et sans forme.

Maintenant je te visite de nouveau d'une aile plus hardie, échappé au lac
Stygien, quoique longtemps retenu dans cet obscur séjour. Lorsque, dans mon vol,
j'étais porté à travers les ténèbres extérieures et moyennes, j'ai chanté, avec
des accords différents de ceux de la lyre d'Orphée, le Chaos et l'éternelle
Nuit. Une Muse céleste m'apprit à m'aventurer dans la noire descente et à la
remonter; chose rare et pénible. Sauvé, je te visite de nouveau, et je sens ta
lampe vitale et souveraine. Mais toi tu ne reviens point visiter ces yeux, qui
roulent en vain pour rencontrer ton rayon perçant, et ne trouvent point
d'aurore, tant une goutte sereine a profondément éteint leurs orbites, ou un
sombre tissu les a voilés!

Cependant, je ne cesse d'errer aux lieux fréquentés des Muses, claires
fontaines, bocages ombreux, collines dorées du soleil, épris que je suis de
l'amour des chants sacrés. Mais toi surtout, ô Sion, toi et les ruisseaux
fleuris qui baignent tes pieds saints et coulent en murmurant, je vous visite
pendant la nuit. Je n'oublie pas non plus ces deux mortels, semblables à moi en
malheur (puissé-je les égaler en gloire!), l'aveugle Thamyris et l'aveugle
Méonides, Tirésias et Phinée, prophètes antiques. Alors je me nourris des
pensées qui produisent d'elles-mêmes les nombres harmonieux, comme l'oiseau qui
veille chante dans l'obscurité: caché sous le plus épais couvert, il soupire ses
nocturnes complaintes.

Ainsi avec l'année reviennent les saisons, mais le jour ne revient pas pour moi;
je ne vois plus les douces approches du matin et du soir, ni la fleur du
printemps, ni la rose de l'été, ni les troupeaux, ni la face divine de l'homme.
Des nuages et des ténèbres qui durent toujours m'environnent. Retranché des
agréables voies des humains, le livre des belles connaissances ne me présente
qu'un blanc universel, où les ouvrages de la nature sont effacés et rayés pour
moi: la sagesse à l'une de ses entrées m'est entièrement fermée.

Brille donc d'autant plus intérieurement, ô céleste lumière! que toutes les
puissances de mon esprit soient pénétrées de tes rayons: mets des yeux à mon
âme; disperse et dissipe loin d'elle tous les brouillards, afin que je puisse
voir et dire des choses invisibles à l'oeil mortel.

Déjà le Père tout-puissant, du haut du Ciel du pur empyrée, où il siège sur un
trône au-dessus de toute hauteur, avait abaissé son regard pour contempler à la
fois ses ouvrages et les ouvrages de ses ouvrages. Autour de lui toutes les
saintetés du Ciel se pressaient comme des étoiles, et recevaient de sa vue une
béatitude qui surpasse toute expression; à sa droite était assise la radieuse
image de sa gloire, son Fils unique. Il aperçut d'abord sur la terre nos deux
premiers parents, les deux seuls êtres de l'espèce humaine placés dans le jardin
des délices, goûtant d'immortels fruits de joie et d'amour; joie non
interrompue, amour sans rival dans une heureuse solitude. Il aperçut aussi
l'Enfer et le gouffre entre l'Enfer et la création; il vit Satan côtoyant le mur
du Ciel, du côté de la nuit dans l'air sublime et sombre, et près de s'abattre,
avec ses ailes fatiguées et un pied impatient, sur la surface aride de ce monde
qui lui semble une terre ferme, arrondie et sans firmament: l'archange est
incertain si ce qu'il voit est l'océan ou l'air. Dieu l'observant de ce regard
élevé dont il découvre le présent, le passé et l'avenir, parla de la sorte à son
Fils unique, en prévoyant cet avenir:

"Unique Fils que j'ai engendré, vois-tu quelle rage transporte notre adversaire?
Ni les bornes prescrites, ni les barreaux de l'Enfer, ni toutes les chaînes
amoncelées sur lui, ni même du profond chaos l'interruption immense, ne l'ont pu
retenir; tant il semble enclin à une vengeance désespérée qui retombera sur sa
tête rebelle. Maintenant, après avoir rompu tous ses liens, il vole non loin du
Ciel sur les limites de la lumière, directement vers le monde nouvellement crée,
et vers l'homme placé là, dans le dessein d'essayer s'il pourra le détruire par
la force, ou, ce qui serait pire, le pervertir par quelque fallacieux artifice;
et il le pervertira: l'homme écoutera ses mensonges flatteurs, et transgressera
facilement l'unique commandement, l'unique gage de son obéissance: il tombera
lui et sa race infidèle.

"A qui sera la faute? à qui, si ce n'est à lui seul? Ingrat! il avait de moi
tout ce qu'il pouvait avoir; je l'avais fait juste et droit, capable de se
soutenir, quoique libre de tomber. Je créai tels tous les pouvoirs éthérés et
tous les esprits, ceux qui se soutinrent et ceux qui tombèrent: librement se
sont soutenus ceux qui se sont soutenus, et tombés ceux qui sont tombés. N'étant
pas libres, quelle preuve sincère auraient-ils pu donner d'une vraie obéissance,
de leur constante foi ou de leur amour? Lorsqu'ils n'auraient fait seulement que
ce qu'ils auraient été contraints de faire, et non ce qu'ils auraient voulu,
quelle louange en auraient-ils pu recevoir? quel plaisir aurais-je trouvé dans
une obéissance ainsi rendue, alors que la volonté et la raison (raison est aussi
choix), inutiles et vaines, toutes deux dépouillées de liberté, toutes deux
passives, eussent servi la nécessité, non pas moi?

"Ainsi créés, comme il appartenait de droit, ils ne peuvent donc justement
accuser leur Créateur, ou leur nature, ou leur destinée, comme si la
prédestination, dominant leur volonté, en disposa par un décret absolu, ou par
une prescience suprême. Eux-mêmes ont décrété leur propre révolte, moi non: si
je l'ai prévue, ma prescience n'a eu aucune influence sur leur faute, qui,
n'étant pas prévue, n'en aurait pas moins été certaine. Ainsi, sans la moindre
impulsion, sans la moindre ombre de destinée ou de chose quelconque par moi
immuablement prévue, ils pèchent, auteurs de tout pour eux-mêmes, à la fois en
ce qu'ils jugent et en ce qu'ils choisissent car ainsi je les ai créés libres,
et libres ils doivent demeurer, jusqu'à ce qu'ils s'enchaînent eux-mêmes.
Autrement, il me faudrait changer leur nature, révoquer le haut décret
irrévocable, éternel, par qui fut ordonnée leur liberté: eux seuls ont ordonné
leur chute.

"Les premiers coupables tombèrent par leur propre suggestion, tentés par eux-
mêmes, par eux-mêmes dépravés: l'homme tombe déçu par les premiers coupables.
L'homme, à cause de cela, trouvera grâce; les autres n'en trouveront point. Par
la miséricorde et par la justice, dans le ciel et sur la terre, ainsi ma gloire
triomphera; mais la miséricorde, la première et la dernière, brillera la plus
éclatante. "

Tandis que Dieu parlait, un parfum d'ambroisie remplissait tout le Ciel, et
répandait parmi les bienheureux, esprits élus, le sentiment d'une nouvelle joie
ineffable. Au-dessus de toute comparaison, le Fils de Dieu se montrait dans une
très grande gloire: en lui brillait tout son Père substantiellement exprimé. Une
divine compassion apparut visible sur son visage, avec un amour sans fin et une
grâce sans mesure; il les fit connaître à son Père, en lui parlant de la sorte:

"O mon Père! miséricordieuse a été cette parole qui a terminé ton arrêt suprême:
l'homme trouvera grâce! Pour cette parole le Ciel et la Terre publieront
hautement tes louanges par les innombrables concerts des hymnes et des sacrés
cantiques: de ces cantiques ton trône environné retentira de toi à jamais béni.
Car l'homme serait-il finalement perdu? L'homme, ta créature dernièrement encore
si aimée, ton plus jeune fils tomberait-il circonvenu par la fraude, bien qu'en
y mêlant sa propre folie? Que cela soit loin de toi, que cela soit loin de toi,
ô Père, toi qui juges de toutes les choses faites, et qui seul juges
équitablement! Ou l'adversaire obtiendra-t-il ainsi ses fins et te frustrera-t-
il des tiennes? Satisfera-t-il sa malice et réduira-t-il ta bonté à néant? Ou
s'en retournera-t-il plein d'orgueil, quoique sous un plus pesant arrêt, et
cependant avec une vengeance satisfaite, entraînant après lui dans l'Enfer la
race entière des humains, par lui corrompue? Ou veux-tu toi-même abolir ta
création, et défaire pour cet ennemi ce que tu as fait pour ta gloire? Ta bonté
et ta grandeur pourraient être mises ainsi en question et blasphémées sans être
défendues. "

Le grand Créateur lui répondit:

"O mon Fils, en qui mon âme a ses principales délices, Fils de mon sein, Fils
qui es seul mon Verbe, ma sagesse et mon effectuelle puissance, toutes tes
paroles ont été comme sont mes pensées, toutes comme ce que mon éternel dessein
a décrété: l'homme ne périra pas tout entier, mais se sauvera qui voudra; non
cependant par une volonté de lui-même, mais par une grâce de moi, librement
accordée. Une fois encore je renouvellerai les pouvoirs expirés de l'homme,
quoique forfaits et assujettis par le péché à d'impurs et exorbitants désirs.
Relevé par moi, l'homme se tiendra debout une fois encore sur le même terrain
que son mortel ennemi; l'homme sera par moi relevé, afin qu'il sache combien est
débile sa condition dégradée, afin qu'il ne rapporte qu'à moi sa délivrance, et
à nul autre qu'à moi.

"J'en ai choisi quelques-uns, par une grâce particulière élus au-dessus des
autres: telle est ma volonté. Les autres entendront mon appel: ils seront
souvent avertis de songer à leur état criminel et d'apaiser au plus tôt la
divinité irritée, tandis que la grâce offerte les y invite Car j'éclairerai
leurs sens ténébreux d'une manière suffisante, et j'amollirai leur coeur de
pierre, afin qu'ils puissent prier, se repentir et me rendre l'obéissance due: à
la prière, au repentir, à l'obéissance due (quand elle ne serait que cherchée
avec une intention sincère), mon oreille ne sera point sourde, mon oeil fermé.
Je mettrai dans eux, comme un guide, mon arbitre, la conscience: s'ils veulent
l'écouter, ils atteindront lumière après lumière; celle-ci bien employée et eux
persévérant jusqu'à la fin, ils arriveront en sûreté.

"Ma longue tolérance et mon jour de grâce, ceux qui les négligeront et les
mépriseront ne les goûteront jamais; mais l'endurci sera plus endurci, l'aveugle
plus aveuglé, afin qu'ils trébuchent et tombent plus bas. Et nuls que ceux-ci je
n'exclus de la miséricorde.

"Mais cependant tout n'est pas fait: l'homme désobéissant rompt déloyalement sa
foi, et pèche contre la haute suprématie du Ciel; affectant la divinité, et
perdant tout ainsi, il ne laisse rien pour expier sa trahison; mais consacré et
dévoué à la destruction, lui et toute sa postérité doivent mourir. Lui ou la
justice doivent mourir, à moins que pour lui un autre ne soit capable, s'offrant
volontairement de donner la rigide satisfaction: mort pour mort.

"Dites, pouvoirs célestes, où nous trouverons un pareil amour? Qui de vous se
fera mortel pour racheter le mortel crime de l'homme? et quel juste sauvera
l'injuste? Une charité si tendre habite-t-elle dans tout le Ciel? "

Il adressait cette demande; mais tout le choeur divin resta muet, et le silence
était dans le Ciel. En faveur de l'homme ni patron ni intercesseur ne paraît, ni
encore moins qui ose attirer sur sa tête la proscription mortelle et payer
rançon. Et alors, privée de rédemption, la race humaine entière eût été perdue,
adjugée par un arrêt sévère à la Mort et à l'Enfer, si le Fils de Dieu, en qui
réside la plénitude de l'amour divin, n'eût ainsi renouvelé sa plus chère
médiation:

"Mon Père, ta parole est prononcée: l'homme trouvera grâce. La grâce ne
trouvera-t-elle pas quelque moyen de salut, elle qui, le plus rapide de tes
messagers ailés, trouve un passage pour visiter tes créatures et venir à toutes,
sans être prévue, sans être implorée, sans être cherchée? Heureux l'homme si
elle le prévient ainsi! il ne l'appellera jamais à son aide, une fois perdu et
mort dans le péché: endetté et ruiné, il ne peut fournir pour lui ni expiation
ni offrande.

"Me voici donc, moi pour lui, vie pour vie; je m'offre: sur moi laisse tomber ta
colère; compte-moi pour homme. Pour l'amour de lui, je quitterai ton sein, et je
me dépouillerai volontairement de cette gloire que je partage avec toi; pour lui
je mourrai satisfait. Que la mort exerce sur moi toute sa fureur; sous son
pouvoir ténébreux je ne demeurerai pas longtemps vaincu. Tu m'as donné de
posséder la vie en moi-même à jamais; par toi je vis, quoique à présent je cède
à la Mort; je suis son dû en tout ce qui peut mourir en moi.

"Mais cette dette payée, tu ne me laisseras pas sa proie dans l'impur tombeau;
tu ne souffriras pas que mon âme sans tache habite là pour jamais avec la
corruption; mais je ressusciterai victorieux, et je subjuguerai mon vainqueur
dépouillé de ses dépouilles vantées. La Mort recevra alors sa blessure de mort,
et rampera inglorieuse, désarmée de son dard mortel. Moi, à travers les airs,
dans un grand triomphe, j'emmènerai l'Enfer captif malgré l'Enfer, et je
montrerai les pouvoirs des ténèbres enchaînés. Toi, charmé à cette vue, tu
laisseras tomber du Ciel un regard, et tu souriras, tandis qu'élevé par toi je
confondrai tous mes ennemis, la Mort la dernière, et avec sa carcasse je
rassasierai le sépulcre. Alors, entouré de la multitude par moi rachetée, je
rentrerai dans le Ciel après une longue absence; j'y reviendrai, ô mon Père,
pour contempler ta face, sur laquelle aucun nuage de colère ne restera, mais où
l'on verra la paix assurée et la réconciliation; désormais la colère n'existera
plus, mais en ta présence la joie sera entière. "

Ici ses paroles cessèrent: mais son tendre aspect silencieux parlait encore, et
respirait un immortel amour pour les hommes mortels, au-dessus duquel brillait
seulement l'obéissance filiale. Content de s'offrir en sacrifice, il attend la
volonté de son Père. L'admiration saisit tout le Ciel, qui s'étonne de la
signification de ces choses, et ne sait où elles tendent. Bientôt le Tout-
Puissant répliqua ainsi:

"O toi, sur la Terre et dans le Ciel, seule paix trouvée pour le genre humain
sous le coup de la colère; O toi, unique objet de ma complaisance, tu sais
combien me sont chers tous mes ouvrages; l'homme ne me l'est pas moins, quoique
le dernier créé, puisque pour lui je te séparerai de mon sein et de ma droite,
afin de sauver (en te perdant quelque temps) toute la race perdue. Toi donc qui
peux seul la racheter, joins à ta nature la nature humaine, et sois toi-même
homme parmi les hommes sur la terre; fais-toi chair quand les temps seront
accomplis, et sors du sein d'une Vierge par une naissance miraculeuse. Sois le
chef du genre humain dans la place d'Adam, quoique fils d'Adam. Comme en lui
périssent tous les hommes, en toi, ainsi que d'une seconde racine, seront
rétablis tous ceux qui doivent l'être; sans toi, personne. Le crime d'Adam rend
coupables tous ses fils; ton mérite, qui leur sera imputé, absoudra ceux qui,
renonçant à leurs propres actions, justes ou injustes, vivront en toi
transplantés, et de toi recevront une nouvelle vie. Ainsi l'homme, comme cela
est juste, donnera satisfaction pour l'homme; il sera jugé et mourra, et en
mourant il se relèvera, et en se relevant relèvera avec lui tous ses frères
rachetés par son sang précieux. Ainsi l'amour céleste l'emportera sur la haine
infernale en se donnant à la mort, en mourant pour racheter si chèrement ce que
la haine infernale a si aisément détruit, ce qu'elle continuera de détruire dans
ceux qui, lorsqu'ils le peuvent, n'acceptent point la grâce.

"O mon Fils! en descendant à l'humaine nature, tu n'amoindris ni ne dégrades la
tienne. Parce que tu as, quoique assis sur un trône dans la plus haute
béatitude, égal à Dieu, jouissant également du bonheur divin; parce que tu as
tout quitté pour sauver un monde d'une entière perdition; parce que ton mérite,
plus encore que ton droit de naissance, Fils de Dieu, t'a rendu plus digne
d'être ce Fils, étant bon beaucoup plus encore que grand et puissant; parce que
l'amour a abondé en toi plus que la gloire, ton humiliation élèvera avec toi à
ce trône ton humanité. Ici tu t'assiéras incarné; ici tu régneras à la fois Dieu
et homme, à la fois Fils de Dieu et de l'homme, établi par l'onction Roi
universel.

"Je te donne tout pouvoir: règne à jamais; et revêts-toi de tes mérites; je te
soumets, comme chef suprême, les trônes, les princes, les pouvoirs, les
dominations: tous les genoux fléchiront devant toi, les genoux de ceux qui
habitent au Ciel, ou sur la terre, ou sous la terre, en Enfer. Quand,
glorieusement entouré d'un cortège céleste, tu apparaîtras sur les nuées; quand
tu enverras les archanges, tes hérauts, annoncer ton redoutable jugement,
aussitôt des quatre vents les vivants appelés, de tous les siècles passés les
morts ajournés, se hâteront à la sentence générale; si grand sera le bruit qui
réveillera leur sommeil! Alors, dans l'assemblée des saints, tu jugeras les
méchants, hommes et anges: convaincus, ils s'abîmeront sous ton arrêt. L'Enfer,
rempli de ses multitudes, sera fermé pour toujours. Cependant, le monde sera
consumé; de ses cendres sortira un ciel nouveau, une nouvelle terre, où les
justes habiteront. Après leurs longues tribulations, ils verront des jours d'or,
fertiles en actions d'or, avec la joie et le triomphant amour, et la vérité
belle. Alors tu déposeras ton sceptre royal, car il n'y aura plus besoin de
sceptre royal; Dieu sera tout en tous. Mais vous, anges, adorez celui qui, pour
accomplir tout cela, meurt; adorez-le comme moi. "

Le Tout-Puissant n'eut pas plus tôt cessé de parler, que la foule des anges
(avec une acclamation forte comme celle d'une multitude sans nombre, douce comme
provenant de voix saintes) fit éclater la joie: le Ciel retentit de
bénédictions, et d'éclatants hosanna remplirent les régions éternelles. Les
anges révérencieusement s'inclinèrent devant les deux trônes, et, avec une
solennelle adoration, ils jetèrent sur le parvis leurs couronnes entremêlées
d'or et d'amarante; immortelle amarante! Cette fleur commença jadis à s'épanouir
près de l'arbre de vie, dans le paradis terrestre; mais bientôt après le péché
de l'homme elle fut reportée au Ciel, où elle croissait d'abord: là elle croît
encore; elle fleurit en ombrageant la fontaine de vie et les bords du neuve de
la félicité, qui au milieu du Ciel roule son onde d'ambre sur des fleurs
élysiennes. Avec ces fleurs d'amarante jamais fanées les esprits élus attachent
leur resplendissante chevelure, entrelacée de rayons.

Maintenant ces guirlandes détachées sont jetées éparses sur le pavé étincelant,
qui brillait comme une mer de jaspe, et souriait empourpré des roses célestes.
Ensuite, couronnés de nouveau, les anges saisissent leurs harpes d'or, toujours
accordées, et qui, brillantes à leur côté, étaient suspendues comme des
carquois. Par le doux prélude d'une charmante symphonie ils introduisent leur
chant sacré et éveillent l'enthousiasme sublime. Aucune voix ne se tait; pas une
voix qui ne puisse facilement se joindre à la mélodie, tant l'accord est parfait
dans le Ciel!

Toi, O Père, ils te chantèrent le premier, tout-puissant, immuable, immortel.
infini, Roi éternel; toi, auteur de tous les êtres, fontaine de lumière, toi,
invisible dans les glorieuses splendeurs où tu es assis sur un trône
inaccessible, et même lorsque tu ombres la pleine effusion de tes rayons, et
qu'à travers un nuage arrondi autour de toi comme un radieux tabernacle, les
bords de tes vêtements, obscurcis par leur excessif éclat, apparaissent:
cependant encore le Ciel est ébloui, et les plus brillants séraphins ne
s'approchent qu'en voilant leurs yeux de leurs deux ailes.

Ils te chantèrent ensuite, ô toi, le premier de toute la création, Fils
engendré, divine ressemblance sur le clair visage de qui brille le Père tout-
puissant, sans nuage rendu visible, qu'aucune créature ne pourrait autrement
regarder ailleurs! En toi imprimée la splendeur de sa gloire habite; transfusé
dans toi son vaste esprit réside. Par toi il créa le Ciel des cieux et toutes
les puissances qu'il renferme, et par toi il précipita les ambitieuses
dominations. Ce jour-là tu n'épargnas point le terrible tonnerre de ton Père; tu
n'arrêtas pas les roues de ton chariot flamboyant, qui ébranlaient la structure
éternelle du Ciel, tandis que tu passais sur le cou des anges rebelles
dispersés: revenu de la poursuite, tes saints, par d'immenses acclamations,
t'exaltèrent, toi unique Fils de la puissance de ton Père, exécuteur de sa fière
vengeance sur ses ennemis! non pas de même sur l'homme!... Tu ne condamnas pas
avec tant de rigueur l'homme tombé par la malice des esprits rebelles, ô Père de
grâce et de miséricorde; mais tu inclines beaucoup plus à la pitié. Ton cher et
unique Fils n'eut pas plus tôt aperçu ta résolution de ne pas condamner avec
tant de rigueur l'homme fragile, mais d'incliner beaucoup plus à la pitié, que
pour apaiser ta colère, pour finir le combat entre la miséricorde et la justice
que l'on discernait sur ta face, ton Fils, sans égard à la félicité dont il
jouissait assis près de toi, s'offrit lui-même à la mort, pour l'offense de
l'homme. O amour sans exemple, amour qui ne pouvait être trouvé que dans l'amour
divin! Salut, Fils de Dieu, sauveur des hommes! Ton nom dorénavant sera l'ample
matière de mon chant! Jamais ma harpe n'oubliera ta louange, ni ne la séparera
de la louange de ton Père.

Ainsi les anges dans le Ciel, au-dessus de la sphère étoilée. passaient leurs
heures fortunées dans la joie à chanter des hymnes. Cependant, descendu sur le
ferme et opaque globe de ce monde sphérique, Satan marche sur la première
convexité qui, enveloppant les orbes inférieurs lumineux, les sépare du chaos et
de l'invasion de l'antique nuit. De loin cette convexité semblait un globe; de
près elle semble un continent sans bornes, sombre, désolé et sauvage, exposé aux
tristesses d'une nuit sans étoiles et aux orages, toujours menaçants, du chaos
qui gronde alentour; Ciel inclément, excepté du côté de la muraille du Ciel,
quoique très éloignée: là, quelque petit reflet d'une clarté débile se glisse
moins tourmenté par la tempête mugissante.

Ici marchait à l'aise, l'ennemi, dans un champ spacieux. Quand un vautour, élevé
sur l'Immaüs (dont la chaîne neigeuse enferme le Tartare vagabond), quand ce
vautour abandonne une région dépourvue de proie, pour se gorger de la chair des
agneaux ou des chevreaux d'un an sur les collines qui nourrissent les troupeaux,
il vole vers les sources du Gange ou de l'Hydaspe, fleuves de l'Inde; mais, dans
son chemin, il s'abat sur les plaines arides de Séricane, où les Chinois
conduisent, à l'aide du vent et des voiles, leurs légers chariots de roseaux;
ainsi, sur cette mer battue du vent, l'ennemi marchait seul çà et là, cherchant
sa proie; seul, car de créature vivante ou sans vie on n'en trouve aucune dans
ce lieu, aucune encore; mais là, dans la suite, montèrent de la terre, comme une
vapeur aérienne, toutes les choses vaines et transitoires, lorsque le péché eut
rempli de vanité les oeuvres des hommes.

Là volèrent à la fois et les choses vaines et ceux qui sur les choses vaines
bâtissent leurs confiantes espérances de gloire, de renommée durable, ou de
bonheur dans cette vie ou dans l'autre: tous ceux qui sur la terre ont leur
récompense, fruit d'une pénible superstition ou d'un zèle aveugle, ne cherchant
rien que les louanges des hommes, trouvent ici une rétribution convenable, vide
comme leurs actions. Tous les ouvrages imparfaits des mains de la nature, les
ouvrages avortés, monstrueux, bizarrement mélangés, après s'être dissous sur la
terre, fuient ici, errent ici vainement jusqu'à la dissolution finale. Ils ne
vont pas dans la Lune voisine, comme quelques-uns l'ont rêvé: les habitants de
ces champs d'argent sont plus vraisemblablement des saints transportés ou des
esprits tenant le milieu entre l'ange et l'homme.

Ici arrivèrent d'abord de l'ancien monde les enfants des fils et des filles mal
assortis, ces géants, avec leurs vains exploits, quoique alors renommés; après
eux arrivèrent les bâtisseurs de Babel dans la plaine de Sennaar, lesquels,
toujours remplis de leur vain projet, bâtiraient encore, s'ils avaient avec
quoi, de nouvelles Babels. D'autres vinrent un à un celui qui pour être regardé
comme un Dieu, sauta de gaieté de coeur dans les flammes de l'Etna, Empedocles;
celui qui pour jouir de l'Elysée de Platon se jeta dans la mer, Cléombrote. Il
serait trop long de dire les autres, les embryons, les idiots, les ermites, les
moines blancs, noirs, gris, avec toutes leurs tromperies. Ici rôdent les
pèlerins qui allèrent si loin chercher mort sur le Golgotha celui qui vit dans
le Ciel; ici se retrouvent les hommes qui pour être sûrs du Paradis mettent en
mourant la robe d'un dominicain ou d'un franciscain, et s'imaginent entrer ainsi
déguisés. Ils passent les sept planètes; ils passent les étoiles fixes, et cette
sphère cristalline dont le balancement produit la trépidation dont on a tant
parlé, et ils passent ce Ciel qui le premier fut mis en mouvement. Déjà saint
Pierre, au guichet du Ciel, semble attendre les voyageurs avec ses clefs;
maintenant au bas des degrés du Ciel ils lèvent le pied pour monter; mais
regardez! un vent violent et croisé, soufflant en travers de l'un et de l'autre
côté, les jette à dix mille lieues à la renverse dans le vague de l'air. Alors
vous pourriez voir capuchons, couvre-chefs, robes, avec ceux qui les portent,
ballottés et déchirés en lambeaux; reliques, chapelets, indulgences, dispenses,
pardons, bulles, jouets des vents. Tout cela pirouette en haut et vole au loin
par-dessus le dos du monde, dans le limbe vaste et large appelé depuis le
Paradis des fous , lieu qui dans la suite des temps a été inconnu de peu de
personnes, mais qui alors n'était ni peuplé ni frayé.

L'ennemi, en passant, trouva ce globe ténébreux; il le parcourut longtemps,
jusqu'à ce qu'enfin la lueur d'une lumière naissante attira en hâte de ce côté
ses pas voyageurs. Il découvre au loin un grand édifice qui par des degrés
magnifiques s'élève à la muraille du Ciel. Au sommet de ces degrés apparaît,
mais beaucoup plus riche, un ouvrage semblable à la porte d'un royal palais,
embelli d'un frontispice de diamants et d'or. Le portique brillait de perles
orientales étincelantes, inimitables sur la terre par aucun modèle ou par le
pinceau. Les degrés étaient semblables à ceux par lesquels Jacob vit monter et
descendre des anges (cohortes de célestes gardiens) lorsque pour fuir Esaü,
allant à Padan-Aran, il rêva la nuit, dans la campagne de Luza, sous le ciel
ouvert, et s'écria en s'éveillant: "C'est ici la porte du Ciel. "

Chaque degré renfermait un mystère: cette échelle des degrés n'était pas
toujours là, mais elle était quelquefois retirée invisible dans le Ciel; au-
dessous roulait une brillante mer de jaspe ou de perles liquides, sur laquelle
ceux qui dans la suite vinrent de la terre faisaient voile, conduits par des
anges, ou volaient au-dessus du lac, ravis dans un char que tiraient des
coursiers de fou. Les degrés descendaient alors en bas, soit pour tenter
l'ennemi par une ascension aisée, soit pour aggraver sa triste exclusion des
portes de la béatitude.

Directement en face de ces portes, et juste au-dessus de l'heureux séjour du
Paradis, s'ouvrait un passage à la terre; passage large, beaucoup plus large que
ne le fut dans la suite des temps celui qui, quoique spacieux, descendait sur le
mont Sion et sur la terre promise, si chère à Dieu. Par ce chemin, pour visiter
les tribus heureuses, les anges, porteurs des ordres suprêmes, passaient et
repassaient fréquemment: d'un oeil de complaisance, le Très-Haut regardait lui-
même les tribus depuis Panéas, source des eaux du Jourdain, jusqu'à Bersabée, où
la Terre Sainte confine à l'Egypte et au rivage d'Arabie. Telle paraissait cette
vaste ouverture, où des limites étaient mises aux ténèbres, semblables aux
bornes qui arrêtent le flot de l'Océan. De là parvenu au degré inférieur de
l'escalier qui par des marches d'or monte à la porte du Ciel, Satan regarde en
bas: il est saisi d'étonnement à la vue soudaine de l'univers.

Quand un espion a marché toute une nuit avec péril, à travers des sentiers
obscurs et déserts, au réveil de la réjouissante aurore, il gagne enfin le
sommet de quelque colline haute et raide: inopinément à ses yeux se découvre
l'agréable perspective d'une terre étrangère, vue pour la première fois, ou
d'une métropole fameuse ornée de pyramides et de tours étincelantes que le
soleil levant dore de ses rayons: l'esprit malin fut frappé d'un pareil
étonnement, quoiqu'il eût autrefois vu le Ciel; mais il éprouve encore moins
d'étonnement que d'envie, à l'aspect de tout ce monde qui paraît si beau.

Il regardait l'espace tout alentour (et il le pouvait facilement, étant placé si
haut au-dessus du pavillon circulaire de l'ombre vaste de la nuit), depuis le
point oriental de la Balance jusqu'à l'étoile laineuse qui porte Andromède loin
des mers atlantiques au delà de l'horizon: ensuite il regarde en largeur d'un
pôle à l'autre, et sans plus tarder, droit en bas dans la première région du
monde il jette son vol précipité. Il suit avec aisance à travers le pur marbre
de l'air sa route oblique parmi d'innombrables étoiles, qui de loin brillaient
comme des astres, mais qui de près semblaient d'autres mondes; ce sont d'autres
mondes ou des îles de bonheur, comme ces jardins des Hespérides renommés dans
l'antiquité: champs fortunés, bocages, vallées fleuries, îles trois fois
heureuses! Mais qui habitait là heureux? Satan ne s'arrêta pas pour s'en
enquérir.

Au-dessus de toutes les étoiles, le Soleil d'or, égal au Ciel en splendeur,
attire ses regards: vers cet astre il dirige sa course dans le calme firmament,
mais si ce fut par le haut ou par le bas, par le centre, ou par l'excentrique,
ou par la longitude, c'est ce qu'il serait difficile de dire. Il s'avance au
lieu d'où le grand luminaire dispense de loin la clarté aux nombreuses et
vulgaires constellations, qui se tiennent à une distance convenable de l'oeil de
leur Seigneur. Dans leur marche elles forment leur danse étoilée en nombres qui
mesurent les jours, les mois et les ans; elles se pressent d'accomplir leurs
mouvements variés vers son vivifiant flambeau, ou bien elles sont tournées par
son rayon magnétique, qui échauffe doucement l'univers, et qui dans toute partie
intérieure, avec une bénigne pénétration, quoique non aperçu, darde une
invisible vertu jusqu'au fond de l'abîme, tant fut merveilleusement placée sa
station brillante!

Là aborde l'ennemi: une pareille tache n'a peut-être jamais été aperçue de
l'astronome, à l'aide de son verre optique dans l'orbe luisant du Soleil. Satan
trouva ce lieu éclatant au delà de toute expression, comparé à quoi que ce soit
sur la terre, métal ou pierre. Toutes les parties n'étaient pas semblables, mais
toutes étaient également pénétrées d'une lumière rayonnante, comme le fer ardent
l'est du feu: métal, partie semblait d'or, partie d'argent fin; pierre, partie
paraissait escarboucle ou chrysolithe, partie rubis ou topaze, tels qu'aux douze
pierres qui brillaient sur le pectoral d'Aaron: ou c'est encore la pierre
souvent imaginée plutôt que vue; pierre que les philosophes d'ici-bas ont en
vain si longtemps cherchée, quoique, par leur art puissant, ils fixent le
volatil Hermès, évoquent de la mer sous ses différentes figures le vieux Protée,
réduit à travers un alambic à sa forme primitive.

Quelle merveille y a-t-il donc si ces champs, si ces régions exhalent un élixir
pur, si les rivières roulent l'or potable, quand par la vertu d'un seul toucher
le grand alchimiste, le soleil (tant éloigné de nous!) produit, mêlé avec les
humeurs terrestres, ici dans l'obscurité, tant de précieuses choses de couleurs
si vives et d'effets si rares?

Ici le Démon, sans être ébloui, rencontre de nouveaux sujets d'admirer; son oeil
commande au loin, car la vue ne rencontre ici ni obstacle ni ombre, mais tout
est soleil: ainsi quand à midi ses rayons culminants tombent du haut de
l'équateur, comme alors ils sont dardés perpendiculaires, sur aucun lieu
alentour l'ombre d'un corps opaque ne peut descendre.

Un air qui n'est nulle part aussi limpide rendait le regard de Satan plus
perçant pour les objets éloignes: il découvre bientôt à portée de la vue un ange
glorieux qui se tenait debout, le même ange que saint Jean vit aussi dans le
soleil. Il avait le dos tourné, mais sa gloire n'était point cachée. Une tiare
d'or des rayons du soleil couronnait sa tête; non moins brillante, sa chevelure
sur ses épaules, où s'attachent des ailes, flottait ondoyante: il semblait
occupé de quelque grande fonction ou plongé dans une méditation profonde.
L'esprit impur fut joyeux, dans l'espoir de trouver à présent un guide qui pût
diriger son vol errant au Paradis terrestre; séjour heureux de l'Homme, fin du
voyage de Satan, et où commencèrent nos maux.

Mais d'abord l'ennemi songe à changer sa propre forme, qui pourrait autrement
lui susciter péril ou retard; soudain il devient un adolescent chérubin, non de
ceux du premier ordre, mais cependant tel que sur son visage souriait une
céleste jeunesse et que sur tous ses membres était répandue une grâce
convenable, tant il sait bien feindre. Sous une petite couronne ses cheveux
roulés en boucles se jouaient sur ses deux joues; il portait des ailes dont les
plumes, de diverses couleurs, étaient semées de paillettes d'or; son habit court
était fait pour une marche rapide, et il tenait devant ses pas, pleins de
décence, une baguette d'argent.

Il ne s'approcha pas sans être entendu: comme il avançait, l'ange brillant,
averti par son oreille, tourna son visage radieux: il fut reconnu sur-le-champ
pour l'archange Uriel, l'un des sept qui, en présence de Dieu, et les plus
voisins de son trône, se tiennent prêts à son commandement. Ces sept archanges
sont les yeux de l'Eternel; ils parcourent tous les cieux, ou en bas à ce globe
ils portent ses prompts messages sur l'humide et le sec, sur la terre et sur la
mer. Satan aborde Uriel, et lui dit:

"Uriel, toi qui des sept esprits glorieusement brillants qui se tiennent debout
devant le trône élevé de Dieu es accoutumé, interprète de sa grande volonté, à
la transmettre le premier au plus haut Ciel, où tous ses fils attendent ton
ambassade, ici sans doute, par décret suprême, tu obtiens le même honneur, et
comme un des yeux de l'Eternel tu visites souvent cette nouvelle création. Un
désir indicible de voir et de connaître les étonnants ouvrages de Dieu, mais
particulièrement l'homme, objet principal de ses délices et de sa faveur,
l'homme pour qui il a ordonné tous ces ouvrages si merveilleux, ce désir m'a
fait quitter les choeurs de chérubins, errant seul ici. O le plus brillant des
séraphins! dis dans lequel de ces orbes éclatants l'homme a sa résidence fixée,
ou si, n'ayant aucune demeure fixe, il peut habiter à son choix tous ces orbes
éclatants? Dis-moi où je puis trouver, où je puis contempler avec un secret
étonnement, ou avec une admiration ouverte, celui à qui le Créateur a prodigué
des mondes et sur qui il a répandu toutes ses grâces? Tous deux ensuite, et dans
l'homme et dans toutes choses, nous pourrons, comme il convient, louer le
Créateur universel, qui a justement précipité au plus profond de l'Enfer ses
ennemis rebelles, et qui pour réparer cette perte à créé cette nouvelle et
heureuse race d'hommes pour le mieux servir: sages sont toutes ses voies! "

Ainsi parla le faux dissimulateur sans être reconnu, car ni l'homme ni l'ange ne
peuvent discerner l'hypocrisie: c'est le seul mal qui dans le Ciel et sur la
terre marche invisible, excepté à Dieu, et par la permission de Dieu. Souvent,
quoique la Sagesse veille, le Soupçon dort à la porte de la Sagesse, et résigne
sa charge à la Simplicité: la Bonté ne pense point au mal, là où il ne semble
pas y avoir de mal. Ce fut cela qui cette fois trompa Uriel, bien que régent du
soleil, et regardé comme l'esprit des cieux dont la vue est la plus perçante. A
l'impur et perfide imposteur il répondit dans sa sincérité:

"Bel ange, ton désir qui tend à connaître les oeuvres de Dieu, afin de glorifier
par là le grand ouvrier ne conduit à aucun excès qui encoure le blâme; au
contraire, plus ce désir paraît excessif, plus il mérite de louanges, puisqu'il
t'amène seul ici de ta demeure empyrée, pour t'assurer par le témoignage de tes
yeux de ce que peut-être quelques-uns se sont contentés d'entendre seulement
raconter dans le Ciel. Car merveilleux, en vérité, sont les ouvrages du Très-
Haut, charmants à connaître, et tous dignes d'être à jamais gardés avec délices
dans la mémoire! Quel esprit créé pourrait en calculer le nombre, ou comprendre
la sagesse infinie qui les enfanta, mais qui en cacha les causes profondes?

"Je le vis, quand à sa parole la masse informe, moule matériel de ce monde, se
réunit en monceau: la confusion entendit sa voix, le farouche tumulte se soumit
à des règles, le vaste infini demeura limité. A sa seconde parole les ténèbres
fuirent, la lumière brilla, l'ordre naquit du désordre. Rapides à leurs
différentes places, se hâtèrent les éléments grossiers, la terre, l'eau, l'air,
le feu; la quintessence éthérée du Ciel s'envola en haut; animée sous
différentes formes, elle roula orbiculaire et se convertit en étoiles sans
nombre, comme tu le vois: selon leur motion chacune eut sa place assignée,
chacune sa course; le reste en circuit mure l'univers.

"Regarde en bas ce globe dont ce côté brille de la lumière réfléchie qu'il
reçoit d'ici: ce lieu est la Terre, séjour de l'homme. Cette lumière est le jour
de la Terre, sans quoi la nuit envahirait cette moitié du globe terrestre, comme
l'autre hémisphère. Mais la Lune voisine (ainsi est appelée cette belle planète
opposée) interpose à propos son secours; elle trace son cercle d'un mois
toujours finissant, toujours renouvelant au milieu du Ciel, par une lumière
empruntée, sa face triforme. De cette lumière elle se remplit et elle se vide
tour à tour pour éclairer la Terre, sa pâle domination arrête la nuit. Cette
tache que je te montre est le Paradis, demeure d'Adam; ce grand ombrage est son
berceau: tu ne peux manquer ta route; la mienne me réclame. "

Il dit, et se retourna. Satan, s'inclinant profondément devant un esprit
supérieur, comme c'est l'usage dans le Ciel, où personne ne néglige de rendre le
respect et les honneurs qui sont dus, prend congé: vers la côte de la Terre au-
dessous, il se jette en bas de l'écliptique: rendu plus agile par l'espoir du
succès, il précipite son vol perpendiculaire en tournant comme une roue
aérienne: il ne s'arrêta qu'au moment où sur le sommet du Niphates il s'abattit.


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François-René De Chateaubriand (1768-1848) Livre II I Argument.
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