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 Paul Claudel. (1868-1955) Novembre.

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MessageSujet: Paul Claudel. (1868-1955) Novembre.   Paul Claudel. (1868-1955) Novembre. Icon_minitimeLun 18 Juin - 21:36

Novembre.

Le soleil se couche sur une journée de paix et de labeur. Et les hommes, les
femmes et les enfants, la tignasse pleine de poussière et de fétus, la face et
les jambes maculées de terre, travaillent encore. Ici l’on coupe le riz; là on
ramasse les javelles, et comme sur un papier peint est reproduite à l’infini la
même scène, de tous les côtés se multiplie la grande cuve de bois quadrangulaire
avec les gens qui face à face battent les épis à poignées contre ses parois; et
déjà la charrue commence à retourner le limon. Voici l’odeur du grain, voici le
parfum de la moisson. Au bout de la plaine occupée par les travaux agricoles on
voit un grand fleuve, et là-bas, au milieu de la campagne, un arc de triomphe,
coloré par le couchant d’un feu vermeil, complète le paisible tableau. Un homme
qui passe auprès de moi tient à la main une poule couleur de flamme, un autre
porte aux extrémités de son bambou, devant lui, une grosse théière d’étain,
derrière un paquet formé d’une botte verte d’appétits, d’un morceau de viande et
d’une liasse de ces taëls de papier d’argent que l’on brûle pour les morts, un
poisson pend au-dessous par une paille. La blouse bleue, la culotte violette
éclatent sur l’or verni de l’éteule.

-Que nul ne raille ces mains oisives! L’ouragan même et le poids de la mer qui
charge n’ébranlent pas la lourde pierre. Mais le bois s’en va sur l’eau, la
feuille cède à l’air. Pour moi, plus léger encore, mes pieds ne se fixent point
au sol, et la lumière, quand elle se retire, m’entraîne. Par les rues sombres
des villages, à travers les pins et les tombes, et par la libre étendue de la
campagne, je suis le soleil qui descend. Ni l’heureuse plaine, ni l’harmonie de
ces monts, ni sur la moisson vermeille l’aimable couleur de la verdure, ne
satisfont l’oeil qui demande la lumière elle-même. Là-bas, dans cette fosse
carrée que la montagne enclôt d’un mur sauvage, l’air et l’eau brûlent d’un feu
mystérieux: je vois un or si beau que la nature tout entière me semble une masse
morte, et au prix de la lumière même, la clarté qu’elle répand une nuit
profonde. Désirable élixir! par quelle route mystique, où me sera-t-il donné de
participer à ton flot avare.

Ce soir le soleil me laisse auprès d’un grand olivier que la famille qu’il
nourrit est en train de dépouiller. Une échelle est appliquée à l’arbre,
j’entends parler dans le feuillage. Dans la clarté éteinte et neutre de l’heure,
je vois éclater des fruits d’or sur la sombre verdure. M’étant approché, je vois
chaque vergette se dessiner finement sur le sinople du soir, je considère les
petites oranges rouges, je respire l’arôme amer et fort. O moisson merveilleuse,
à un seul, à un seul promise! fruit montré à je ne sais quoi en nous qui
triomphe !

Avant que je n’atteigne les pins, voici la nuit et déjà la froide lune
m’éclaire. Ceci me semble être une différence, que le soleil nous regarde et que
nous regardons la lune; son visage est tourné vers ailleurs, et comme un feu qui
illumine le fond de la mer, par elle les ténèbres deviennent, seulement,
visibles. -Au sein de cet antique tombeau, dans l’herbe épaisse de ce temple
ruiné, sous la forme de belles dames ou de sages vieillards, vêtus de blanc, ne
vais-je point rencontrer une compagnie de renards? Déjà ils me proposent des
vers et des énigmes; ils me font boire de leur vin, et ma route est oubliée.
Mais ces hôtes civils veulent me donner un divertissement; ils montent debout
l’un sur l’autre, -et mon pied désabusé s’engage dans le sentier étroit et blanc
qui me ramène vers ma demeure.


Mais déjà au fond de la vallée je vois brûler un feu humain.







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