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 Paul Claudel. (1868-1955) Le Fleuve.

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MessageSujet: Paul Claudel. (1868-1955) Le Fleuve.   Paul Claudel. (1868-1955) Le Fleuve. Icon_minitimeLun 18 Juin - 21:41

Le Fleuve.

Du fleuve vaste et jaune mes yeux se reportent sur le sondeur accroché au flanc
du bateau, qui, d’un mouvement régulier faisant tourner la ligne à son poing,
envoie le plomb à plein vol au travers de ce flot tourbeux.

Comme s’allient les éléments du parallélogramme, l’eau exprime la force d’un
pays résumé dans ses lignes géométriques. Chaque goutte est le calcul fugace,
l’expression à raison toujours croissante de la pente circonférencielle, et,
d’une aire donnée ayant trouvé le point le plus bas, un courant se forme, qui
d’un poids plus lourd fuit vers le centre plus profond d’un cercle plus élargi.
Celui-ci est immense par la force et par la masse. C’est la sortie d’un monde,
c’est l’Asie en marche qui débouche. Puissant comme la mer, cela va quelque part
et tient à quelque chose. Point de branches ni d’affluents, la coulée est
unique; nous aurons beau remonter des jours, je n’atteins point la fourche, et
toujours devant nous, d’une poussée volumineuse ouvrant largement la terre par
le milieu, le fleuve interrompt d’une égale coupure l’horizon d’ouest.

Toute eau nous est désirable; et, certes, plus que la mer vierge et bleue,
celle-ci fait appel à ce qu’il y a en nous entre la chair et l’âme, notre eau
humaine chargée de vertu et d’esprit, le brûlant sang obscur. Voici l’une des
grandes veines ouvrières du monde, l’un des troncs de distribution de la vie, je
sens marcher sous moi le plasma qui travaille et qui détruit, qui charrie et qui
façonne. Et, tandis que nous remontons cela d’énorme qui fond sur nous du ciel
gris et qu’engloutit notre route, c’est la terre tout entière que nous
accueillons, la Terre de la Terre, l’Asie, mère de tous les hommes, centrale,
solide, primordiale: ô abondance du sein! Certes, je le vois, et c’est en vain
que l’herbe partout le dissimule, j’ai pénétré ce mystère: comme une eau par sa
pourpre atteste la blessure irrécusable, la Terre a imprégné celle-ci de sa
substance: il n’est de rien matière que l’or seul.

Le ciel est bas, les nuées filent vers le Nord; à ma droite et à ma gauche, je
vois une sombre Mésopotamie. Point de villages ni de cultures; à peine, çà et
là, entre les arbres dépouillés, quatre, cinq huttes précaires, quelques engins
de pêche sur la berge, une barque ruineuse qui vogue, vaisseau de misère
arborant pour voile une loque. L’extermination a passé sur ce pays, et ce fleuve
qui roule à pleins bords la vie et la nourriture n’arrose pas une région moins
déserte que n’en virent ces eaux issues du Paradis, alors que l’homme, ayant
perforé une corne de boeuf, fit entendre pour la première fois ce cri rude et
amer dans des campagnes sans écho.
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Paul Claudel. (1868-1955) Le Fleuve.
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