Le Point.
Je m’arrête: il y a un point à ma promenade comme à une phrase que l’on a finie.
C’est le titre d’une tombe à mes pieds, à ce détour où le chemin descend. De là
je prends ma dernière vue de la terre, j’envisage le pays des morts. Avec ses
bouquets de pins et d’oliviers, il se disperse et s’épand au milieu des
profondes moissons qui l’entourent. Tout est consommé dans la plénitude. Cérès a
embrassé Proserpine. Tout étouffe l’issue, tout trace la limite. Je retrouve,
droit au pied des monts immuables, la grande raie du fleuve; je constate notre
frontière; j’endure ceci. Mon absence est configurée par cette île bondée de
morts et dévorée de moissons. Seul debout parmi le peuple enterré et mes pieds
entre les noms proférés par l’herbe, je guette cette ouverture de la Terre où le
vent doux, comme un chien sans voix, continue depuis deux jours d’entrer
l’énorme nuage qu’il a détaché derrière moi des Eaux. C’est fini; le jour est
bien fini; il n’y a plus qu’à se retourner et à remesurer le chemin qui me
rattache à la maison. A cette halte où s’arrêtent les porteurs de bières et de
baquets, je regarde longuement derrière moi la route jaune qui va des vivants
chez les morts et que termine, comme un feu qui brûle mal, un point rouge dans
le ciel bouché.