PLUME DE POÉSIES
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 Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) Chats.

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Inaya
Plume d'Eau
Inaya


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Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) Chats. Empty
MessageSujet: Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) Chats.   Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) Chats. Icon_minitimeSam 23 Juin - 15:28

Chats.

Ils sont cinq autour d’elle, tous les cinq issus de la même souche et rayés à
l’image de leur ancêtre, le chat sauvage. L’un porte ses rayures noires sur un
fond rosé comme le plumage de la tourterelle, l’autre n’est, des oreilles à la
queue, que zébrures pain brûlé sur champ marron très clair, comme une fleur de
giroflée. Un troisième paraît jaune, à côté du quatrième qui n’est que ceintures
de velours noir, colliers, bracelets, sur un dessous gris argent d’une grande
élégance. Mais le cinquième, énorme, resplendit dans sa fourrure fauve à mille
bandes. Il a les yeux verts de menthe, et la large joue velue qu’on voit au
tigre.

Elle, mon Dieu, c’est la Noire. Une Noire pareille à cent autres Noires, mince,
bien vernissée, la mouche blanche au poitrail et la prunelle en or pur. Nous
l’avons nommée la Noire parce qu’elle est noire, de même la chatte grise
s’appelle Chatte-Grise et la plus jeune des bleues de Perse Jeune-Bleue. Nous
n’avons pas risqué la méningite.

Janvier, mois des amours félines, pare les chats d’Auteuil de leur plus belle
robe et racole, pour nos trois chattes, une trentaine de matous. Le jardin
s’emplit de leurs palabres interminables, de leurs batailles, et de leur odeur
de buis vert. La Noire seule marque qu’ils l’intéressent. C’est trop tôt pour
Jeune-Bleue et Chatte-Grise, qui contemplent de haut la démence des mâles. La
Noire, pour l’heure, se tient mal, et ne va pas plus loin. Elle choisit
longuement dans le jardin une branche taillée en biseau, élaguée de l’an
dernier, pour s’en servir en guise de brosse à dents d’abord, puis de gratte-
oreilles, enfin de gratte-flancs. Elle s’y râpe, elle s’y écorche, en donnant
tous les signes de la satisfaction. Une danse horizontale suit, au cours de
laquelle elle imite l’anguille hors de l’eau. Elle se roule, chemine sur le dos
et le ventre, souille sa robe, et les cinq matous avec elle avancent, reculent
comme un seul matou. Souvent le doyen magnifique, n’y tenant plus, s’élance, et
porte sur la tentatrice une patte pesante. . . Tout aussitôt la chorégraphe
voluptueuse se redresse, gifle l’imprudent et s’accroupit, pattes rentrées sous
le ventre, avec un aigre et revêche visage de vieille dévote. En vain le
puissant chat rayé, pour montrer sa soumission et rendre hommage à la Noire,
feint-il de choir les quatre pattes en l’air, défaillant et soumis. Elle le
relègue parmi le quintette anonyme, et gifle équitablement n’importe quel rayé,
s’il manque à l’étiquette et la salue de trop près.

Ce ballet de chats dure depuis ce matin, sous mes fenêtres. Aucun cri, sauf le «
rrrr. . . » dur et harmonieux qui roule par moments dans la gorge des matous. La
Noire, muette et lascive, provoque, puis châtie, et savoure sa toute-puissance
éphémère. Dans huit jours le même mâle qui tremble devant elle, qui patiente et
perd le boire et le manger, la tiendra solidement par la nuque. . . Jusque-là,
il plie.

Un sixième rayé vient d’apparaître. Mais aucun des matous n’a daigné le toiser
en rival. Gras, velouté, candide, il a perdu dès son jeune âge tout souci des
jeux de l’amour, et les nuits tragiques de janvier, les clairs de lune de juin
ont cessé pour lui, à jamais, d’être fatidiques. Ce matin, il se sent las de
manger, fatigué de dormir. Il promène, sous le petit soleil d’argent, sa robe
lustrée, et la fatuité sans malice qui lui valut son nom de Beaugarçon. Il
sourit au temps clair, aux passereaux confiants. Il sourit à la Noire, à sa
frémissante escorte. Il taquine d’une patte molle un vieil oignon de tulipe
qu’il délaisse pour un gravier rond. La queue de la Noire fouette et se tord
comme un serpent coupé: il s’élance, la capture, la mordille, et reçoit une
demi-douzaine de mornifles, sèches et griffues, à le défigurer. . . Mais
Beaugarçon, déchu du rang de mâle, ignore tout du protocole amoureux, et
redescend à l’équité pure. Injustement battu, il ne prend que le temps de
gonfler ses poumons et de reculer d’un pas, avant d’administrer à la Noire une
correction telle qu’elle en suffoque, râle de rage et saute le mur pour cacher
sa honte dans le jardin voisin.

Et comme j’allais courir, craignant la fureur des matous, au secours de
Beaugarçon, je vis qu’il faisait retraite avec lenteur, majesté et inconscience,
parmi les rayés immobiles, silencieux, et pour la première fois déférents devant
l’eunuque qui avait osé battre la reine.










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Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) Chats.
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