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 François Coppée. (1842-1908) Pour Le Drapeau.

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François Coppée. (1842-1908) Pour Le Drapeau. Empty
MessageSujet: François Coppée. (1842-1908) Pour Le Drapeau.   François Coppée. (1842-1908) Pour Le Drapeau. Icon_minitimeSam 30 Juin - 18:49

Pour Le Drapeau.
Tu vis dans tous les coeurs, amour de la patrie!

Après quarante-huit, au fond de l'Algérie,
En plein désert, devant les gorges de l'Atlas,
Des insurgés de juin, - des coupables, hélas!
Mais des Français, - courbés sous un labeur servile,
Expiaient les malheurs de la guerre civile,
Gardés par des soldats, par des Français comme eux.
Et là, tous, l'orateur de clubs jadis fameux,
L'envieux déclassé, l'utopiste sincère,
L'honnête travailleur gâté par la misère,
Tous, braves gens trompés ou sinistres voyous,
Ils remuaient la terre et cassaient des cailloux.
Ce lieu farouche était bien choisi pour un bagne.
D'un côté, le désert; de l'autre, la montagne;
çà et là, seulement quelques dattiers poudreux;
Et, brûlante prison qui, sur ces malheureux,
Gardiens et prisonniers, la nuit, devait se clore,
Un blockhaus sur lequel le drapeau tricolore
Se déroulait au vent, dans l'azur infini.
Ce fort, assez peu sûr, mais pourtant bien garni
De riz et de biscuits, d'armes et de cartouches,
Avec ses deux canons montrant leurs sombres bouches,
Dressait sur l'horizon son profil menaçant.
Les soldats étaient trente, et les déportés cent.

Un jour, à l'heure où l'aube, en déchirant ses voiles,
Fait taire les lions et pâlir les étoiles,
Et comme les soldats allaient, fusils chargés,
Conduire à leur travail les anciens insurgés,
Tout à coup, s'élançant des ravins les plus proches,
Blancs fantômes surgis au loin parmi les roches,
En long burnous, montés sur leurs fins chevaux gris,
Et jetant leurs fusils en l'air avec des cris
Où se mêle le nom de leur Dieu qu'ils adjurent,
Les Bédouins du désert de tous côtés parurent.
Deux tribus, qui semblaient depuis longtemps dormir,
Venaient de relever l'étendard de l'Émir
Et voulaient de nouveau faire parler la poudre.
Ainsi qu'un gros nuage accourt, chargé de foudre,
Ils venaient, soulevant un flot de sable ardent.

Le commandant du fort, un brave cependant,
Vieux troupier devenu lentement capitaine,
Avait pâli devant cette attaque soudaine.
Le pauvre homme perdait la tête absolument.
Comment faire? Il avait trente hommes seulement
Pour défendre les murs de sa faible redoute;
Et, quant aux condamnés politiques, sans doute,
A s'enfuir ils n'allaient pas être les derniers.

En ce moment, sorti des rangs des prisonniers,
L'un d'eux, qu'on avait vu parler, dans le tumulte,
A ses amis, de l'air d'un homme qui consulte,
Un grand gaillard, portant sur ses traits amaigris
La trace de vingt ans de misère à Paris
F t dont les yeux profonds, sous leurs sombres arcades,
Conservaient un reflet du feu des barricades,
S'approcha lentement du vieil algérien
Et dit, avec le ton traînant du faubourien :

Mon capitaine, on vient vous dire que nous sommes
Cent condamnés, c'est vrai, cent forçats, mais cent hommes,
Tous du faubourg Antoine et tous gars bien choisis.
Nous savons que le fort est bondé de fusils;
Sur tous ces moricauds si vous voulez qu'on cogne,
Armez-nous donc. Après avoir fait la besogne,
On rendra les outils, ma parole d'honneur!
Vous ne me faites pas l'effet d'un chicaneur;
Vous aurez confiance en nous, - on en est digne, -
Et vous nous laisserez marcher avec la ligne.
Prêtez-nous les fusils et nous sommes sauvés.
La loque qui flottait sur nos tas de pavés
N'était pas, après tout, le vrai drapeau de France,
Et le rouge n'est bon qu'en pantalon garance...
Voyons! mon capitaine, est-ce dit?
L'officier,
Trop ému pour répondre et pour remercier,
Fit donner sur-le-champ au bagne rendu libre
De bons fusils avec des balles de calibre.
Il était temps. Trois cents Arabes étaient là,
Galopant tout autour du fort, criant : « Allah! »
Et tiraillant déjà sur ses minces murailles.

Soudain les deux canons vomirent leurs mitrailles
Qui firent reculer l'insolent tourbillon;
Puis, sortant du blockhaus, un hardi bataillon,
Où des soldats marchaient auprès de gens en blouse
Et chaussés de sabots comme en quatre-vingt-douze,
Vint se mettre en bataille et commença le feu.
Le combat fut sanglant et vif, mais dura peu.
Les Bédouins, qui croyaient surprendre un faible poste,
Devant tous ces Français si prompts à la riposte
Tentèrent bien, mettant tous les sabres au vent,
Deux charges qu'on reçut, baïonnette en avant.
Mais leur cheikh y périt, et la bande affolée,
Comme un vol de corbeaux reprenant sa volée,
Tourna bride et bientôt dans l'Atlas se perdit.

Alors les condamnés, ainsi qu'ils l'avaient dit,
Tenant loyalement la parole jurée,
Rentrèrent dans le fort en colonne serrée;
Sans hésitation, ils mirent en faisceaux,
Devant le commandant, leurs fusils encor chauds;
Et le vieil officier, contenant mal ses larmes,
A ses soldats d'un jour qui déposaient leurs armes
Étreignait les deux mains à leur rougir la peau,
Et disait rudement :
« Merci... pour le drapeau! »
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François Coppée. (1842-1908) Pour Le Drapeau.
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