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 Louis Dantin (1865-1945) Le désert

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Louis Dantin (1865-1945) Le désert Empty
MessageSujet: Louis Dantin (1865-1945) Le désert   Louis Dantin (1865-1945) Le désert Icon_minitimeMer 25 Juil - 12:28

Le désert

J'suis Arab' sans en avoir l'air
Et ma vie s'coul' dans un désert,
Une désolation à pein' pénétrée
Au fond de l'Arabie Pétrée,
Ousqu'il n'y a rien qu' du sable gris,
Larrabi,
Dans la plain', les butt's et les creux,
Dans les fent's des galets ocreux,
Dans les sandal's et dans les yeux;
Tant de sable, mon Dieu! tant d'sable!
Comm' si l'Pacifique, obsédé du diable,
Avait filtré à travers tout son sable!
Sur ce parterr' de sable gris,
Larrabi,

C'qui pouss', c'est les moignons tordus
Et pointus d'quéq' maigres cactus
Qu'ont l'air accroupis sur la dune,
La nuit, pour fair' peur à la lune,
Et l' j our, qu'ont l'air de sing's méchants
Prêts à vous griffer en passant,
Et des mouss's en papier mâché


(Ou s'rait-ce d'la cendre ayant cru végéter?)
Qui craqu'nt et s'défont sous votr' pied.

Pas de trèfle, pas de bruyère,
Pas d'foin d'odeur ni d'fougères,
Pas de merles dans les buissons,
Pas de buissons, et pas d'chansons.
Pas d'pacages où le bétail broute,
Pas de haies vives et pas d'routes.
Ni homm' ni femm', bien entendu,
Pas plus qu'dans l'paradis perdu.
La richess' de ce royaum'-ci,
Larrabi,
Est tout' dans sa superficie;
I' s'y empil', sans qu ça renverse,
Des mill's, des kilomètr's et des verstes.
Les patrimoin's, les parcs Lenôtre,
S'mesur'nt d'un horizon à l'autre
Et s'étal'nt sous le dur soleil
Tous plats, tous chauv's et tous pareils.
L'âm' se sent mince et comm' fondue
D'vant tant et tant d'étendue
Si nue! et quant aux oasis,
C'est des cont's de cerveaux moisis;
Et la mann', pour s'faire un festin
Faudrait se l'ver d'trop grand matin.

C'est dans c'vaste et large pays
Qu'en bon Arab' j'ai mon gourbi,
Et là, depuis vingt ans entiers,
J'fais l'commerce des briqu's et mortiers,
Que pour du biscuit, d'loin en loin,
J'trafique à mes frèr's les Bédouins;
Et Preste du temps, je m'pavane
Loin du sentier des caravanes.
J'suis seul, mais je suis libre aussi,
Larrabi,
Dans c'te capital' du Gobi

Y a pas d'règlements qui m'embêtent;
Avec moi-mêm' j'peux fair' la fête,
J'peux être bolchévik, si j 'veux,
Sans qu'ça rend' les banquiers nerveux;
Et j'suis pas bousculé quand j'passe:
La rue occupe tout l'espace.

Mais c'est vrai que l'domaine est chaud
À rendr' piteux les hauts fourneaux;
À r'gretter la r'traite bucolique
D'la sous-cal' des transatlantiques;
Si chaud, que la plupart des êtres
Sont empaillés avant de naître,


C'qui fait qu'ils ne naiss'nt pas du tout.
L'air s'révolte et fuse en grisou,
Le soleil ouvre un' gueul' de braise;
Pour parasols à c'te fournaise
Y a qu'des palmiers aux feuill's d'enseigne
Qui laiss'nt passer l'jour comme des peignes.
Au fait, sur l'sol que c'feu surplombe,
J'suis l'seul écran à fair' de l'ombre
Et j'me r'présente, au coup d'midi,
Un copeau dans un incendie,
Larrabi
Puis c'qu'achèv' de m'rendre stupide,
C'est tant d' flamme et si peu d' liquide !
Ce que j'donn'rais pour une rivière,
Pour une mare, pour une gouttière!
Oh! l'eau qui fredonne et qui rit!
Mais, au trou des fossés croupis,
Larrabi,
I' n'en rest' pas, d'puis l'temps qu'ell' bouille,
Assez pour flotter une grenouille,
Et j'suis des jours, quoiqu'maladif,
Sans l'plus minime apéritif,
Forcé, comm' les chameaux, d'bercer
D'espéranc's mon gosier gercé.

Y a les mirages: c'est drôl' comm' tout!
C'est des rêv's qu'on fait tout d'bout;
On voit des tours, des esplanades,
Des bois, des fontain's qui cascadent,
Des icoglans et des houris,
Larrabi.
Mais l'plus rasant de c'phénomène,
C'est qu'tout's les chos's qui s'y promènent,
Les homm's, les forêts vierg's, tout ça
S'tient et circul' la tête en bas
C'qui vous donn' la sensation bête
D'avoir les antipod's sur la tête...
Et puis c'n'est qu'un nuage farceur
Qui s'était payé votr' bon coeur.

Non, c'n'est pas l'pays d'Rarahu!
La nuit, les chacals font l'chahut,
Quéq' lion ou quéq' tigre s'amène,
Ou bien de dégoûtant's hyènes
Qui dans les môl's de sable gris,
Larrabi,
Déterr'nt les macchabées pourris
Et rigol'nt dans leurs faces de fouines
En s'pourléchant leurs sal's babines.
Vous n'sauriez croir' comm' ces animaux-là
Hurl'nt faux et triste: on dirait un glas!
Quant i' s'mett'nt tous à faire: Hou! hou!



J'ai l'cauch'mar des topapahous.

Et l'simoun, c'est ça qu'est bassinant!
Figurez-vous la ros' des vents
Qui de sa tige s'rait secouée
Et s'effeuill'rait sur la contrée;
Ou tous les tuyaux à soupirs
Crevés dans l'usin' des zéphyrs.
Comme une caval'rie d'uhlans ivres
Du fond d'l'horizon ça dérive
Dans une charge qu'emporte en l'air
L'sol et la toitu' du désert.
C'est tous les tonnerr's, tout's les trombes,
Tous les cyclones et tout's les bombes.
Pis qu'des goul's de Mille et une Nuits
Ca braill', ça miaule et ça gémit,
Larrabi,
Et ça souffle à travers votr' porte
Tout l'sel et l'soufr' de la Mer Morte.

Ah! mais vous' n'm'avez pas compris!
Ou p't'êr' vous croyez que j'faribole?
Tout ça, c'est des symboles,
Et j'en grimaç' plus que j'n'en ris,
Larrabi,
L'désert qui sèch' dans sa torpeur,
C'est la grande solitude de mon coeur;
Et les milliards de grains de sable,
C'est tout les atôm's lamentables
De mes pensées et de mes rêves
Que mon âm' retourne et soulève;
Et 'soleil qui flambe et qui cuit,
C'est ma fièvre et c'est mon ennui.
La soif qui m'ronge comme un vautour,
C'est l'tourment qu' j' ai d'un grand amour;
Et Pépin' des cactus, hélas!
C'est le coeur de cell' qui n'm'aim' pas.
Et mon commerce, ah! mon commerce,
C'est les métiers vils que j'exerce
D'puis que l'mond' chic m'a fichu orphelin
Et que j'turbine hors du droit ch'min,
Nomade, et sevré d'sympathie,
A' caus' d'mon manq' d'orthodoxie.
Les bêt's rongeant les cadavr's désossés
C'est les souv'nirs qui dévor'nt mon passé;
Et les mirages foux qui s'renversent
C'est mes espoirs que l'sort boul'verse;
Et l'espace vide, illimité,
C'est l'fantôm' de ma liberté;
Et l'simoun qui siffle et qui mord
C'est la vie qui, d'tout son effort,
M'pouss' vers le Grand Sahara d'la mort.
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