PLUME DE POÉSIES
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 Gérard De Nerval (1808-1855) 6e lettre. Le jour des Morts.

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Inaya
Plume d'Eau
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Gérard De Nerval (1808-1855) 6e lettre. Le jour des Morts. Empty
MessageSujet: Gérard De Nerval (1808-1855) 6e lettre. Le jour des Morts.   Gérard De Nerval (1808-1855) 6e lettre. Le jour des Morts. Icon_minitimeJeu 30 Aoû - 22:19

6e lettre. Le jour des Morts. - Senlis. - Les tours des Romains. - Les jeunes
filles. - Delphine.

C'est le jour des Morts que je vous écris; - pardon de ces idées mélancoliques.
Arrivé à Senlis la veille, j'ai passé par les paysages les plus beaux et les
plus tristes qu'on puisse voir dans cette saison. La teinte rougeâtre des chênes
et des trembles sur le vert foncé des gazons, les troncs blancs des bouleaux se
détachant du milieu des bruyères et des broussailles, - et surtout la
majestueuse longueur de cette route de Flandre, qui s'élève parfois de façon à
vous faire admirer un vaste horizon de forêts brumeuses, tout cela m'avait porté
à la rêverie. En arrivant à Senlis, j'ai vu la ville en fête. Les cloches, -
dont Rousseau aimait tant le son lointain, - résonnaient de tous côtés; les
jeunes filles se promenaient par compagnies dans la ville, ou se tenaient devant
les portes des maisons en souriant et caquetant. Je ne sais si je suis victime
d'une illusion: je n'ai pu rencontrer encore une fille laide à Senlis... celles-
là peut-être ne se montrent pas!
Non: - le sang est beau généralement, ce qui tient sans doute à l'air pur, à la
nourriture abondante, à la qualité des eaux. Senlis est une ville isolée de ce
grand mouvement du chemin de fer du Nord qui entraîne les populations vers
l'Allemagne. - Je n'ai jamais su pourquoi le chemin de fer du Nord ne passait
pas par nos pays, - et faisait un coude énorme qui encadre en partie
Montmorency, Luzarches, Gonesse et autres localités, privées du privilège qui
leur aurait assuré un trajet direct. Il est probable que les personnes qui ont
institué ce chemin auront tenu à le faire passer par leurs propriétés. - Il
suffit de consulter la carte pour apprécier la justesse de cette observation.
Il est naturel, un jour de fête à Senlis, d'aller voir la cathédrale. Elle est
fort belle, et nouvellement restaurée, avec l'écusson semé de fleurs de lis qui
représente les armes de la ville, et qu'on a eu soin de replacer sur la porte
latérale. L'évêque officiait en personne, - et la nef était remplie des
notabilités châtelaines et bourgeoises qui se rencontrent encore dans cette
localité.
Les jeunes filles
En sortant, j'ai pu admirer, sous un rayon de soleil couchant, les vieilles
tours des fortifications romaines, à demi démolies et revêtues de lierre. - En
passant près du prieuré, j'ai remarqué un groupe de petites filles qui s'étaient
assises sur les marches de la porte.
Elles chantaient sous la direction de la plus grande, qui, debout devant elles,
frappait des mains en réglant la mesure.
- Voyons, mesdemoiselles, recommençons; les petites ne vont pas!... Je veux
entendre cette petite-là qui est à gauche, la première sur la seconde marche: -
Allons, chante toute seule.
Et la petite se met à chanter avec une voix faible, mais bien timbrée:
Les canards dans la rivière... etc.
Encore un air avec lequel j'ai été bercé. Les souvenirs d'enfance se ravivent
quand on a atteint la moitié de la vie. - C'est comme un manuscrit palimpseste
dont on fait reparaître les lignes par des procédés chimiques.
Les petites filles reprirent ensemble une autre chanson, - encore un souvenir:
Trois filles dedans un pré...
Mon coeur vole! (bis)
Mon coeur vole à votre gré!
"Scélérats d'enfants! dit un brave paysan qui s'était arrêté près de moi à les
écouter... Mais vous êtes trop gentilles!... Il faut danser à présent."
Les petites filles se levèrent de l'escalier et dansèrent une danse singulière
qui m'a rappelé celle des filles grecques dans les îles.
Elles se mettent toutes, - comme on dit chez nous, - à la queue leleu; puis un
jeune garçon prend les mains de la première et la conduit en reculant, pendant
que les autres se tiennent les bras, que chacune saisit derrière sa compagne.
Cela forme un serpent qui se meut d'abord en spirale et ensuite en cercle, et
qui se resserre de plus en plus autour de l'auditeur, obligé d'écouter le chant,
et quand la ronde se resserre, d'embrasser les pauvres enfants, qui font cette
gracieuseté à l'étranger qui passe.
Je n'étais pas un étranger, mais j'étais ému jusqu'aux larmes en reconnaissant,
dans ces petites voix, des intonations, des roulades, des finesses d'accent,
autrefois entendues, - et qui, des mères aux filles, se conservent les mêmes...
La musique, dans cette contrée, n'a pas été gâtée par l'imitation des opéras
parisiens, des romances de salon ou des mélodies exécutées par les orgues. On en
est encore, à Senlis, à la musique du XVIe siècle, conservée traditionnellement
depuis les Médicis. L'époque de Louis XIV a aussi laissé des traces. Il y a,
dans les souvenirs des filles de la campagne, des complaintes - d'un mauvais
goût ravissant. On trouve là des restes de morceaux d'opéras, du XVIe siècle,
peut-être, - ou d'oratorios du XVIIe.
Delphine
J'ai assisté autrefois à une représentation donnée à Senlis dans une pension de
demoiselles.
On jouait un mystère, - comme aux temps passés. - La vie du Christ avait été
représentée dans tous ses détails, et la scène dont je me souviens était celle
où l'on attendait la descente du Christ dans les enfers.
Une très belle fille blonde parut avec une robe blanche, une coiffure de perles,
une auréole et une épée dorée, sur un demi-globe, qui figurait un astre éteint.
Elle chantait:
Anges! descendez promptement,
Au fond du purgatoire!...
Et elle parlait de la gloire du Messie, qui allait visiter ces sombres lieux. -
Elle ajoutait:
Vous le verrez distinctement
Avec une couronne...
Assis dessus un trône!

Ceci se passait dans une époque monarchique. La demoiselle blonde était d'une
des plus grandes familles du pays et s'appelait Delphine. - Je n'oublierai
jamais ce nom!
... Le sire de Longueval dit à ses gens: "Fouillez ce traître, car il a des
lettres de ma fille", - et il ajoutait en lui parlant: "Dis, perfide, d'où
venais-tu quand tu sortais si bonne heure de la grand'salle?"
"Je venais, disait-il, de la chambre de M. de La Porte, et ne sais ce que vous
voulez me dire de lettres."
Heureusement La Corbinière avait brûlé les lettres précédemment reçues, de sorte
qu'on ne trouva rien. Cependant le comte de Longueval dit à son fils, - en
tenant toujours le pistolet à la main: - Coupe-lui la moustache et les cheveux!
Le comte s'imaginait qu'après cette opération, La Corbinière ne plairait plus à
sa fille.
Voici ce qu'elle a écrit à ce sujet:
"Ce garçon, se voyant de cette sorte, voulut mourir, car il croyait, en effet,
que je ne l'aimerais plus; mais, au contraire, lorsque je le vis en cet état
pour l'amour de moi, mon affection redoubla de telle sorte que j'avais juré, si
mon père le traitait plus mal, de me tuer devant lui; - lequel usa de prudence,
comme homme d'esprit qu'il était, car, sans éclater davantage, il l'envoya avec
un bon cheval en Beauvoisis, avertir ces messieurs les gendarmes de se tenir
prêts à venir en garnison à Orbaix."
La demoiselle ajoute:
"Le mauvais traitement que lui avait fait mon père, et le commandement qu'il lui
avait enjoint de se tenir dans les bornes de son devoir, ne purent empêcher
qu'il ne passât toute cette nuit-là avec moi par cette invention: mon père lui
ayant commandé de s'en aller en Beauvoisis, il monta à cheval, et au lieu de
s'en aller vivement, il s'arrêta dans le bois de Guny jusqu'à ce qu'il fût nuit,
et alors il s'en vint chez Tancar, à Coucy-la-Ville, et lorsqu'il eut soupé, il
prit ses deux pistolets et s'en vint à Verneuil, grimper par le petit jardin, où
je l'attendais avec assurance et sans peur, sachant qu'on croyait qu'il fût bien
loin. Je le menai dans ma chambre; alors il me dit: "Il ne faut pas perdre cette
bonne occasion sans nous embrasser: c'est pourquoi il faut nous déshabiller...
Il n'y a nul danger."
La Corbinière fit une maladie, ce qui rendit le comte moins sévère envers lui; -
mais pour l'éloigner de sa fille, il lui dit: "Il vous en faut aller à la
garnison à Orbaix, car déjà les autres gendarmes y sont."
Ce qu'il fit avec grand déplaisir.
A Orbaix, le fauconnier du comte ayant envoyé à Verneuil son valet, nommé
Toquette, La Corbinière lui donna une lettre pour Angélique de Longueval. Mais,
craignant qu'elle ne fût vue, il lui recommanda de la mettre sous une pierre
avant d'entrer au château, afin que si on le fouillait on ne trouvât rien.
Une fois admis, il devenait très simple d'aller quérir la lettre sous la pierre,
et de la remettre à la demoiselle. Le petit garçon fit bien son message, et,
s'approchant d'Angélique de Longueval, lui dit: "J'ai quelque chose pour vous."
Elle eut un grand contentement de cette lettre. Il témoignait qu'il avait quitté
de grands avantages en Allemagne pour venir la voir, et qu'il lui était
impossible de vivre sans qu'elle lui donnât commodité de la voir.
Ayant été menée par son frère au château de la Neuville, Angélique dit à un
laquais qui était à sa mère et qui s'appelait Court-Toujours: - "Oblige-moi
d'aller trouver La Corbinière, lequel est revenu d'Allemagne, et lui porte cette
lettre de ma part bien secrètement."
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Gérard De Nerval (1808-1855) 6e lettre. Le jour des Morts.
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