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 Denis Diderot. (1713-1784) LETTRE DE LA RELIGIEUSE À M. LE MARQUIS DE CROISMARE, À CAEN.

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Denis Diderot. (1713-1784) LETTRE DE LA RELIGIEUSE À M. LE MARQUIS DE CROISMARE, À CAEN. Empty
MessageSujet: Denis Diderot. (1713-1784) LETTRE DE LA RELIGIEUSE À M. LE MARQUIS DE CROISMARE, À CAEN.   Denis Diderot. (1713-1784) LETTRE DE LA RELIGIEUSE À M. LE MARQUIS DE CROISMARE, À CAEN. Icon_minitimeLun 3 Sep - 0:03

LETTRE DE LA RELIGIEUSE À M. LE MARQUIS DE CROISMARE, À CAEN.

Monsieur, je ne sais à qui j'écris; mais, dans la détresse où je me
trouve, qui que vous soyez, c'est à vous que je m'adresse. Si l'on ne
m'a point trompée à l'École militaire et que vous soyez le marquis
généreux que je cherche, je bénirai Dieu; si vous ne l'êtes pas, je ne
sais ce que je ferai. Mais je me rassure sur le nom que vous portez;
j'espère que vous secourrez une infortunée, que vous, monsieur, ou un
autre M. de Croismare, qui n'est pas celui de l'École militaire, avez
appuyée de votre sollicitation dans une tentative qu'elle fit, il y a
deux ans, pour se tirer d'une prison perpétuelle, à laquelle la dureté
de ses parents l'avait condamnée. Le désespoir vient de me porter à une
seconde démarche dont vous aurez sans doute entendu parler; je me suis
sauvée de mon couvent. Je ne pouvais plus supporter mes peines; et il
n'y avait que cette voie, ou un plus grand forfait encore, pour me
procurer une liberté que j'avais espérée de l'équité des lois.

Monsieur, si vous avez été autrefois mon protecteur, que ma situation
présente vous touche et qu'elle réveille dans votre coeur quelque
sentiment de pitié! Peut-être trouverez-vous de l'indiscrétion à avoir
recours à un inconnu dans une circonstance pareille à la mienne. Hélas!
monsieur, si vous saviez l'abandon où je suis réduite; si vous aviez
quelque idée de l'inhumanité dont on punit les fautes d'éclat dans les
maisons religieuses, vous m'excuseriez! Mais vous avez l'âme sensible,
et vous craindrez de vous rappeler un jour une créature innocente jetée,
pour le reste de sa vie, dans le fond d'un cachot. Secourez-moi,
monsieur, secourez-moi(30)! Voici l'espèce de service que j'ose attendre
de vous, et qu'il vous est plus facile de me rendre en province qu'à
Paris. Ce serait de me trouver, ou par vous-même ou par vos
connaissances, à Caen ou ailleurs, une place de femme de chambre ou de
femme de charge, ou même de simple domestique. Pourvu que je sois
ignorée, chez d'honnêtes gens, et qui vivent retirés, les gages n'y
feront rien. Que j'aie du pain et de l'eau, et que je sois à l'abri des
recherches; soyez sûr qu'on sera content de mon service. J'ai appris à
travailler dans la maison de mon père, et à obéir en religion. Je suis
jeune, j'ai le caractère doux et je suis d'une bonne santé. Lorsque mes
forces seront revenues, j'en aurai assez pour suffire à toutes sortes
d'occupations domestiques. Je sais broder, coudre et blanchir; quand
j'étais dans le monde, je raccommodais mes dentelles, et j'y serai
bientôt remise. Je ne suis pas maladroite, je saurai me faire à tout.
S'il fallait apprendre à coiffer, je ne manque pas de goût, et je ne
tarderais pas à le savoir. Une condition supportable, s'il se peut, ou
une condition telle quelle, c'est tout ce que je demande. Vous pouvez
répondre de mes moeurs: malgré les apparences, monsieur, j'ai de la
piété. Il y avait au fond de la maison que j'ai quittée, un puits que
j'ai souvent regardé; tous mes maux seraient finis, si Dieu ne m'avait
retenue. Monsieur, que je ne retourne pas dans cette maison funeste!
Rendez-moi le service que je vous demande; c'est une bonne oeuvre dont
vous vous souviendrez avec satisfaction tant que vous vivrez, et que
Dieu récompensera dans ce monde ou dans l'autre. Surtout, monsieur,
songez que je vis dans une alarme perpétuelle et que je vais compter les
moments. Mes parents ne peuvent douter que je ne sois à Paris; ils font
sûrement toutes sortes de perquisitions pour me découvrir; ne leur
laissez pas le temps de me trouver. J'ai emporté avec moi toutes mes
nippes. Je subsiste de mon travail et des secours d'une digne femme que
j'avais pour amie et à laquelle vous pouvez adresser votre réponse. Elle
s'appelle Mme Madin. Elle demeure à Versailles. Cette bonne amie me
fournira tout ce qu'il me faudra pour mon voyage; et quand je serai
placée, je n'aurai plus besoin de rien, et ne lui serai plus à charge.
Monsieur, ma conduite justifiera la protection que vous m'aurez
accordée: quelle que soit la réponse que vous me ferez, je ne me
plaindrai que de mon sort.

Voici l'adresse de Mme Madin: À madame Madin, au pavillon de
Bourgogne, rue d'Anjou, à Versailles.

Vous aurez la bonté de mettre deux enveloppes, avec son adresse sur la
première, et une croix sur la seconde.

Mon Dieu, que je désire d'avoir votre réponse! Je suis dans des transes
continuelles.

Votre très-humble et très-obéissante servante,

Signé: SUZANNE SIMONIN(31).



Nous avions besoin d'une adresse pour recevoir les réponses, et nous
choisîmes une certaine Mme Madin, femme d'un ancien officier
d'infanterie, qui vivait réellement à Versailles. Elle ne savait rien de
notre coquinerie, ni des lettres que nous lui fîmes écrire à elle-même
par la suite, et pour lesquelles nous nous servîmes de l'écriture d'une
autre jeune personne. Mme Madin savait seulement qu'il fallait recevoir
et me remettre toutes les lettres timbrées Caen. Le hasard voulut que
M. de Croismare, après son retour à Paris, et environ huit ans après
notre péché, trouvât Mme Madin chez une femme de nos amies qui avait
été du complot. Ce fut un vrai coup de théâtre; M. de Croismare se
proposait de prendre mille informations sur une infortunée qui l'avait
tant intéressé, et dont Mme Madin ne savait pas le premier mot. Ce fut
aussi le moment de notre confession générale et de notre pardon.






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