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 Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE V. DANGEREUSE TENTATION DE MANGOGUL.

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Denis Diderot. (1713-1784)    CHAPITRE V.  DANGEREUSE TENTATION DE MANGOGUL. Empty
MessageSujet: Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE V. DANGEREUSE TENTATION DE MANGOGUL.   Denis Diderot. (1713-1784)    CHAPITRE V.  DANGEREUSE TENTATION DE MANGOGUL. Icon_minitimeLun 3 Sep - 10:38

CHAPITRE V.

DANGEREUSE TENTATION DE MANGOGUL.


A peine Mangogul fut-il en possession de l'anneau mystérieux de Cucufa,
qu'il fut tenté d'en faire le premier essai sur la favorite. J'ai oublié
de dire qu'outre la vertu de faire parler les bijoux des femmes sur
lesquelles on en tournait le chaton, il avait encore celle de rendre
invisible la personne qui le portait au petit doigt. Ainsi Mangogul
pouvait se transporter en un clin d'oeil en cent endroits où il
n'était point attendu, et voir de ses yeux bien des choses qui se
passent ordinairement sans témoin; il n'avait qu'à mettre sa bague, et
dire: «Je veux être là;» à l'instant il y était. Le voilà donc chez
Mirzoza.

Mirzoza qui n'attendait plus le sultan, s'était fait mettre au lit.
Mangogul s'approcha doucement de son oreiller, et s'aperçut à la lueur
d'une bougie de nuit, qu'elle était assoupie. «Bon, dit-il, elle dort:
changeons vite l'anneau de doigt, reprenons notre forme, tournons le
chaton sur cette belle dormeuse, et réveillons un peu son bijou... Mais
qu'est-ce qui m'arrête?... je tremble... se pourrait-il que Mirzoza...
non, cela n'est pas possible; Mirzoza m'est fidèle. Éloignez-vous,
soupçons injurieux, je ne veux point, je ne dois point vous écouter.» Il
dit et porta ses doigts sur l'anneau; mais les en écartant aussi
promptement que s'il eût été de feu, il s'écria en lui-même: «Que
fais-je, malheureux! je brave les conseils de Cucufa. Pour satisfaire
une sotte curiosité, je vais m'exposer à perdre ma maîtresse et la
vie... Si son bijou s'avisait d'extravaguer, je ne la verrais plus, et
j'en mourrais de douleur. Et qui sait ce qu'un bijou peut avoir dans
l'âme?» L'agitation de Mangogul ne lui permettait guère de s'observer:
il prononça ces dernières paroles un peu haut, et la favorite
s'éveilla...

«Ah! prince, lui dit-elle, moins surprise que charmée de sa présence,
vous voilà! pourquoi ne vous a-t-on point annoncé? Est-ce à vous
d'attendre mon réveil?»

Mangogul répondit à la favorite, en lui communiquant le succès de
l'entrevue de Cucufa, lui montra l'anneau qu'il en avait reçu, et ne lui
cacha rien de ses propriétés.

«Ah! quel secret diabolique vous a-t-il donné là? s'écria Mirzoza. Mais,
prince, comptez-vous en faire quelque usage?

-Comment, ventrebleu! dit le sultan, si j'en veux faire usage? Je
commence par vous, si vous me raisonnez.»

La favorite, à ces terribles mots, pâlit, trembla, se remit, et conjura
le sultan par Brama et par toutes les Pagodes des Indes et du Congo, de
ne point éprouver sur elle un secret qui marquait peu de confiance en sa
fidélité.

«Si j'ai toujours été sage, continua-t-elle, mon bijou ne dira mot, et
vous m'aurez fait une injure que je ne vous pardonnerai jamais: s'il
vient à parler, je perdrai votre estime et votre coeur, et vous en
serez au désespoir. Jusqu'à présent vous vous êtes, ce me semble, assez
bien trouvé de notre liaison; pourquoi s'exposer à la rompre? Prince,
croyez-moi, profitez des avis du génie; il a de l'expérience, et les
avis de génies sont toujours bons à suivre.

-C'est ce que je me disais à moi-même, lui répondit Mangogul, quand
vous vous êtes éveillée: cependant si vous eussiez dormi deux minutes de
plus, je ne sais ce qui en serait arrivé.

-Ce qui en serait arrivé, dit Mirzoza, c'est que mon bijou ne vous
aurait rien appris, et que vous m'auriez perdue pour toujours.

-Cela peut être, reprit Mangogul; mais à présent que je vois tout le
danger que j'ai couru, je vous jure par la Pagode éternelle, que vous
serez exceptée du nombre de celles sur lesquelles je tournerai ma
bague.»

Mirzoza prit alors un air assuré, et se mit à plaisanter d'avance aux
dépens des bijoux que le prince allait mettre à la question.

«Le bijou de Cydalise, disait-elle, a bien des choses à raconter; et
s'il est aussi indiscret que sa maîtresse, il ne s'en fera guère prier.
Celui d'Haria n'est plus de ce monde; et Votre Hautesse n'en apprendra
que des contes de ma grand'mère. Pour celui de Glaucé, je le crois bon à
consulter: elle est coquette et jolie.

-Et c'est justement par cette raison, répliqua le sultan, que son bijou
sera muet.

-Adressez-vous donc, repartit la sultane, à celui de Phédime; elle est
galante et laide.

-Oui, continua le sultan; et si laide, qu'il faut être aussi méchante
que vous pour l'accuser d'être galante. Phédime est sage; c'est moi qui
vous le dis, et qui en sais quelque chose.

-Sage tant qu'il vous plaira, reprit la favorite; mais elle a de
certains yeux gris qui disent le contraire.

-Ses yeux en ont menti, répondit brusquement le sultan; vous
m'impatientez avec votre Phédime: ne dirait-on pas qu'il n'y ait que ce
bijou à questionner?

-Mais peut-on, sans offenser Votre Hautesse, ajouta Mirzoza, lui
demander quel est celui qu'elle honorera de son choix?

-Nous verrons tantôt, dit Mangogul, au cercle de la Manimonbanda (c'est
ainsi qu'on appelle dans le Congo la grande sultane). Nous n'en
manquerons pas si tôt, et lorsque nous serons ennuyés des bijoux de ma
cour, nous pourrons faire un tour à Banza: peut-être trouverons-nous
ceux des bourgeoises plus raisonnables que ceux des duchesses.

-Prince, dit Mirzoza, je connais un peu les premières, et je peux vous
assurer qu'elles ne sont que plus circonspectes.

-Bientôt nous en saurons des nouvelles: mais je ne peux m'empêcher de
rire, continua Mangogul, quand je me figure l'embarras et la surprise de
ces femmes aux premiers mots de leurs bijoux; ah! ah! ah! Songez,
délices de mon coeur, que je vous attendrai chez la grande sultane, et
que je ne ferai point usage de mon anneau que vous n'y soyez.

-Prince, au moins, dit Mirzoza, je compte sur la parole que vous m'avez
donnée.»

Mangogul sourit de ses alarmes, lui réitéra ses promesses, y joignit
quelques caresses, et se retira.


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