PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Robert Desnos. (1900-1945) X. Le Pensionnat De Humming-Bird Garden.

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Robert Desnos. (1900-1945)  X. Le Pensionnat De Humming-Bird Garden. Empty
MessageSujet: Robert Desnos. (1900-1945) X. Le Pensionnat De Humming-Bird Garden.   Robert Desnos. (1900-1945)  X. Le Pensionnat De Humming-Bird Garden. Icon_minitimeDim 28 Oct - 21:22

X. Le Pensionnat De Humming-Bird Garden.

Le jardin ratissé, calme, offrait devant la haute maison ses pelouses vertes et
ses allées géométriques aux jeux des petites filles. Quand je dis offrait, il
eût fallu spécifier que c’était le jour. Or, il était nuit. La haute bâtisse se
dressait trouée par trois fenêtres éclairées sur le fond parfaitement bleu de la
nuit. À l’horizon, c’étaient des forêts animées par le frémissement du vent,
retentissantes du cri des chouettes et des chats-huants, des plaintes des lapins
assassinés (on trouve en tas leurs poils et leurs ossements sur le sol, au-
dessous des nids de rapaces nocturnes), du travail sourd et souterrain des
taupes, c’était l’océan sillonné de requins et de paquebots, croisé, non loin
des côtes, par le va-et-vient des torpilleurs portant le pavillon de l’Union
Jack, troublé par les vagues, les coups de queue des marsouins et les chocs
d’épaves sur les récifs, égayé par des bals de crevettes et d’hippocampes,
brillant de l’émigration des sardines et des anguilles, grouillant dans les
rochers ténébreux de crabes et de langoustes, c’étaient des marais receleurs de
cadavres, cadavres d’enlisés momifiés dans des poses horribles, cadavres
d’assassinés jetés là par des bandits après exploration des poches et des
bagages, c’étaient des routes blanches et des voies ferrées luisantes, c’était
le rayonnement céleste d’une grande ville : Londres sans doute, visible
réellement ou imaginable, de cette contrée d’Angleterre appelée comté de Kent.

Il était onze heures de la nuit. Un homme assez jeune se dirigeait à travers la
forêt, péniblement en raison des racines et des fougères, vers cette bâtisse de
briques rouges entourée de pelouses unies.

Peu à peu, des nuages montèrent de derrière les marais et remplirent le ciel.
Nuages lourds de tonnerres futurs et receleurs d’éclairs. Des cris de haleurs
venaient du côté de la mer.

À l’une des fenêtres de la bâtisse un bruit clair retentit. Bruit de claques
sonores, bruit de fouet. Un cri s’éleva, puis plusieurs qui se confondirent
bientôt en un gémissement monotone.

Dans une salle, une femme de trente-cinq ans, fort belle, brune à reflets roux,
fouettait une fille de seize ans étendue en travers de ses genoux. Elle avait
d’abord frappé avec la main. On distinguait encore l’empreinte rouge des cinq
doigts sur la chair délicate. Le pantalon descendu emprisonnait de dentelles les
genoux de la victime dont les cheveux dénoués voilaient le visage. La croupe
frémissante se contractait spasmodiquement. Les empreintes de doigts
disparaissaient peu à peu, remplacées par les zébrures rouges du martinet de
cuir de la correctrice. Parfois, quand le cinglement avait meurtri
particulièrement l’enfant, un bond la faisait sursauter davantage, les cuisses
s’entrouvraient et c’était un spectacle sensuel qui émouvait une autre jeune
fille, attendant dans un coin de la pièce son tour d’être châtiée.

Et voici que maintenant que l’éclair va paraître dans ce ciel évoqué, malgré sa
noirceur, sur le papier blanc, je comprends pourquoi le tableau se composa de
telle façon. La similitude de l’éclair et du coup de martinet sur la croupe
blanche d’une pensionnaire de seize ans suscita seule la montée de la tempête
dans l’impassible nuit qui recouvrait le pensionnat.

Pensionnat d’Humming-Bird Garden, tu te dressais depuis longtemps sans doute
dans mon imagination, maison de briques rouges entourée de calmes pelouses, avec
les dortoirs où les vierges sentant passer les fils de la vierge de minuit se
retournent voluptueusement, sans s’éveiller, dans leurs lits, avec la chambre de
la directrice, femme autoritaire et son arsenal de fouets, de verges et de
cravaches, avec les salles de classes où les chiffres blancs sympathisent du
fond du tableau noir avec les mystérieux graphiques dessinés dans le ciel par
les étoiles, mais tandis que tu restais immobile dans un paysage de leçon de
choses, l’orage de toute éternité montait derrière ton toit d’ardoise pour
éclater, lueur d’éclair, à l’instant précis où le martinet de la correctrice
rayerait d’un sillon rouge les fesses d’une pensionnaire de seize ans et
éclairerait douloureusement, tel un éclair, les mystérieuses arcanes de mon
érotique imagination. N’ai-je écrit cette histoire que pour évoquer votre
ressemblance, éclair, coup de fouet! et dois-je dresser l’apparence de cette
nuit d’orage, sombre femme mais belle, avec ses seins évocateurs des rochers
pointus du rivage, ses profonds yeux noirs, les boucles noires de ses cheveux et
le teint identique aux prunes d’été, qui, brandissant un fouet cruel d’un bras
robuste, en dépit du désordre de sa robe sombre, désordre qui révèle ses
admirables seins et sa cuisse musclée, poursuit une marche majestueuse et fait
naître le respect.

Dans la chambre éclairée du pensionnat, le châtiment tire à sa fin. La fillette
congestionnée murmure à peine. La dispensatrice donne encore deux ou trois coups
de fouet, quelques claques puis, soigneusement, elle rabat la fine chemise,
remonte le pantalon, redresse la victime et lui désigne un coin où elle va
s’agenouiller.

Cependant, l’homme marchait toujours à travers la forêt. Les premières gouttes
de pluie n’avaient tout d’abord pas transpercé l’épais feuillage. Ç’avait
d’abord été l’odeur de la poussière mouillée, puis celle des feuilles, puis
celle de l’herbe. Enfin, l’eau était tombée sur le marcheur. Son chemin était
devenu plus rude. Glissant sur la terre glaise, s’enfonçant dans les fondrières
et le terreau mou dissimulé par l’herbe, le visage inondé au soufflet des basses
branches, il allait vers la lisière. Il l’atteignit enfin.

Légèrement en contrebas, la plaine offrait un panorama orageux. Les éclairs
frappaient de leur lueur tantôt le ventre flasque des nuages et le sommet
moutonnant des forêts, tantôt la façade d’une maison qu’elle blanchissait et
rendait terrible comme une maison hantée. Le tonnerre mêlait son grondement
discontinu au bruit constant de la mer. Le vent se calma. À la pluie d’orage
succéda une pluie fine qui, par sa monotonie, donnait une impression de
perpétuité.

L’homme se dirigea vers la seule maison éclairée : le pensionnat d’Humming-Bird
Garden.

La maîtresse avait attiré à elle la seconde enfant, blonde et robuste, avec deux
fossettes aux joues, fossettes identiques à celles que lorsque à son tour elle
se trouva à plat ventre sur les genoux du bourreau, troussée et dénudée, révéla
son cul blanc et cambré.

Un instant, l’acharnée correctrice s’attarda à contempler ce spectacle
troublant, chair blanche qu’elle allait ensanglanter et qui se perdait
étrangement dans la masse des jupes, du jupon et de la chemise relevés. Elle
dégrafa les jarretières et rabattit les bas jusqu’aux genoux : une jambe
s’était dégagée du pantalon qui pendait au pied de l’autre.

Puis l’adroite tortionnaire commença à claquer partir des jarrets les cuisses
rondes en remontant vers la taille. Elle embrasa au passage les deux superbes
méplats, d’abord masses blanches, puis roses rougissantes, puis orange presque
sanguines. Sous les coups, elles se contractèrent, réduisant la raie médiane en
un très court sillon. Bientôt, la masse musclée fut prise de soubresauts, se
contractant et se relâchant sans mesure, laissant entrevoir le fossé brun où une
bouche charnue s’apercevait, plissée et ombragée par des poils. Parfois même, et
comme pour sa compagne, un grand sursaut cambrait davantage les reins, écartait
les cuisses et le sexe était dévoilé. Quand le sang courut rapidement sous la
chair, l’exécutrice saisit le martinet qui, là aussi, zébra de sang la peau
fine. Puis le fouet succéda, puis la cravache.

L’homme atteignit la maison. Un instant son imagination fut pareille aux
bâtisses surnaturellement blanchies à l’approche de l’orage, et le calme
spectacle de la pelouse rasséréna ses pensées. Cependant, le son des coups sur
la chair attira son attention. Il gagna le pied même du bâtiment et, par un
tuyau d’écoulement des eaux de gouttière, se hissa jusqu’à la fenêtre ouverte
d’où venait le bruit.

L’exécution était presque terminée. Maintenant, les mains parachevaient
l’oeuvre. Elles meurtrissaient d’une tape sèche les rares endroits qu’avait
épargnés le cuir.

Puis, l’enfant habillée et redressée, la maîtresse se leva et commanda :

-Dolly et vous, Nancy, déshabillez-moi, que je me couche.

Dolly et Nancy se mirent à genoux. Elles délacèrent les souliers de cuir jaune
et, glissant leurs petites mains sous les jupes, elles détachèrent les
jarretelles et amenèrent les bas. Debout, elles dégrafèrent minutieusement le
corsage et la jupe. La femme apparut en pantalon de dentelle et soutien-gorge.
Ces deux vêtements tombèrent à leur tour. Nue, les seins durs, la croupe
cambrée, la femme dominait les deux fillettes qui, obéissant à un rite convenu,
baisèrent la bouche méchante, le ventre rond, le cul robuste, avant de la
revêtir d’une chemise fine et courte et de natter ses cheveux ardents.

Alors, l’homme cramponné au balcon leva la fenêtre à guillotine et pénétra dans
la pièce. Il sortit de sa poche un revolver noir et le posa sur la cheminée.
Ramassant les bas de la femme qui le considérait sans bouger, il emprisonna dans
l’un la tête de Dolly et dans l’autre celle de Nancy, enfin se retournant :

-Conduis-moi.

Elle précéda dans un couloir sombre, poussa une porte grinçante, pénétra dans un
dortoir.

Dans trente lits blancs dormaient ou, plutôt, feignaient de dormir, trente
jeunes filles. Sous la clarté tremblante des veilleuses, leur chevelure, le plus
souvent blonde et parfois rousse, semblait frémir. La maîtresse réveilla le
dortoir. Sous trente couvertures blanches, trente corps palpitants s’agitèrent.
Les yeux grands ouverts, les enfants contemplaient leur redoutable tyran et le
Corsaire Sanglot, puisque c’était lui, personnage nouveau, terrible et délicieux
comme leurs rêves.

Elles se levèrent et leur théorie descendit l’escalier de sapin verni. La pluie
avait cessé. Le jardin sentait comme tous les romanciers l’ont dit. Imaginez
maintenant sur la pelouse verte trente jeunes filles à la chemise retroussée au-
dessus de la croupe, à genoux. Et que fit le héros d’une si troublante aventure?
Les échos retentirent longtemps des corrections infligées à ces corps en émoi.
Le petit jour levait son doigt au dessus de la forêt quand le Corsaire cessa de
meurtrir ces cuisses tendres et ces hanches musclées.

Après quoi, il y eut une étreinte entre lui et la terrible maîtresse qui avait
assisté, sans mot dire, aux actions de son amant.

Encore une fois, Louise Lame et le Corsaire Sanglot se sont rencontrés. À
l’Angelus (sonne-t-on l’Angelus en Angleterre), ils se séparent. Lui, regagne
son chemin de la forêt épaisse. Elle, fait rentrer au dortoir les élèves
amoureuses et humiliées. Elle délivre Nancy et Dolly endormies avec un bas sur
leur tête.

Jusqu’à midi les trente-deux filles dormiront, étonnées au réveil de cette
liberté accordée. Regardant le grand soleil de midi frapper leur lit étroit,
elles se souviendront des événements de la nuit. L’amour et la jalousie ensemble
tortureront leurs âmes. Il leur faudra se lever et reprendre le travail écolier.
Quand il leur faudra subir le fouet de la maîtresse, elles seront prises d’un
étrange émoi. Souvenir du séducteur cruel et charmant, haine de celle qui le
posséda. Et tout se passe comme j’ai dit. Bientôt même et pour mieux évoquer ce
matin tendre où elles rencontrèrent l’amour, elles entreprennent de se meurtrir
elles-mêmes. Les récréations se passent maintenant derrière les buissons de
prunelliers. Et, deux à deux, elles se fouettent mutuellement, bienheureuses
quand le sang entoure leurs cuisses d’un mince et chaud reptile. Corsaire
Sanglot poursuit sa marche solitaire, tandis qu’en souvenir de lui, dans une
calme plaine environnée de bois du comté de Kent, trente jeunes filles se
flagellent de jour et de nuit et comptent au matin, en faisant leur toilette,
avec une indicible fierté, les cicatrices dont elles sont marquées.

Le soir, la maîtresse, comme à l’ordinaire, choisit deux victimes et les emmène
dans sa chambre. Et elle frappe ces cuisses qui ont souffert par lui, avec rage.
Elle aurait aussi voulu souffrir comme elles et la haine amoureuse la dresse.
Car elle n’a pas suffi au contentement du Corsaire.

Il lui a fallu d’abord la possession barbare de ses élèves, et rien ne pourra
désormais consoler ces âmes en peine.

En dépit des années passant sur la pelouse unie et les allées et les arbres de
la forêt proche.

En dépit des années passant sur ces fronts soucieux, sur ces yeux amoureux des
ténèbres, sur ces corps énervés.

Et, quelque nuit, l’orage roulant sur la plaine et le marécage éclairera de
nouveau la façade sévère et le marais aux feux follets.


Mais plus jamais le Corsaire Sanglot ne reparaîtra dans le pensionnat où des
coeurs sans défaillance l’attendirent, coeurs aujourd’hui séniles dans
d’immondes anatomies de vieilles femmes.
Revenir en haut Aller en bas
 
Robert Desnos. (1900-1945) X. Le Pensionnat De Humming-Bird Garden.
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Robert Desnos. (1900-1945) Robert Desnos. (1900-1945) Le Veilleur Du Pont-Au-Change.
» Robert Desnos. (1900-1945) Robert Desnos. (1900-1945) Sol De Compiègne.
» Robert Desnos. (1900-1945) I La Voix De Robert Desnos.
» Robert Desnos. (1900-1945) L’Ours.
» Robert Desnos. (1900-1945) Le Crapaud.

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: