Isabeau s'y promène...
Isabeau! Ce n'est point de cette reine de Bavière qu'il sera
parlé: Isabeau, belle et traîtresse, et « traînée dans la
fange »...
Notre Isabeau est aussi belle, mais elle n'a pas trahi le
Saint-Laurent, comme l'autre, la France. Non, Isabeau, c'est
une fille de chez nous, qui fait les yeux doux à ceux qui
s'approchent de son jardin, sur le bord de l'île, le long du
ruisseau. Elle se promène dans son jardin qui est sur le bord
de l'eau, le long du ruisseau. Tout le monde voit Isabeau. Si
elle trahit, c'est au grand jour, car elle aime à jouer avec le
coeur des hommes, le long du ruisseau.
Sur le bord de l'île, trente matelots l'aguichent, lui font de
l'oeil, cherchent à l'attirer. Isabeau, quel sort as-tu jeté à ces
étourneaux? Ils veulent tous être pris dans tes filets, ces filets
d'amour que tu lances sur l'eau, au bord du ruisseau.
Entre tous, c'est le plus jeune qui montre une tête et un
coeur fort tournés. Il chante, il se met à chanter. Isabeau
roucoule, ne sait plus mesurer son émoi. Dans ses doigts, elle
agite un mouchoir, puis tourne sur elle-même en faisant
étinceler la soie de sa robe. Elle veut apprendre cette chanson
que le plus jeune des trente arrache de son gosier, afin de
chanter à son tour dans l'île, sur le bord du ruisseau. Mais le
faraud pose ses conditions: il l'enseignera à cette belle si elle
consent à venir dans sa barque faire le tour du ruisseau.
Isabeau hésite; ses lèvres rient; elle incline enfin d'un oui
son front qui déjà rêve. Dans ses yeux court un feu qui
embrase.
Sur le bord de l'île, la Reine de chez nous, dans une
barque qui chancelle sous ce léger fardeau, tend ses bras au
plus jeune des matelots qui l'emporte le long du ruisseau.