Le Lion
Il fait nuit noire au fond de l'antre,
Où nul rayon ne vient fleurir,
Et c'est là, couché sur son ventre,
Que le grand Lion va mourir.
Sa longue chevelure pâle
S'affaisse sur son corps tremblant,
Et voici déjà que le râle
Sort de sa poitrine, en sifflant.
Or le Renard, plein de génie,
Vient, ainsi qu'un lâche irrité,
Insulter à cette agonie
Avec un cynisme effronté.
Il dit au Lion: Pauvre Sire!
La vie heureuse et libre fuit
Ton front plus blême que la cire,
Et tu vas rouler dans la nuit!
Dans ta prunelle douloureuse
Que jadis caressait l'air pur,
Tu n'auras plus que l'ombre affreuse,
Sans astre, ni plafond d'azur.
Tu subiras l'éternel jeûne
Et les noirs épouvantements;
Et moi je vivrai, je suis jeune!
Je courrai dans les bois charmants,
Rapide, en mon ardeur furtive
Plongeant mes yeux dans l'horizon,
Et buvant aux ruisseaux d'eau vive
Qui murmurent dans le gazon!
A moi l'inexprimable joie,
Quand j'aurai, grâce à mes talents,
Guetté, surpris ma faible proie,
D'en faire des lambeaux sanglants!
Tel, en ce discours plein de haine,
Le Renard, épiant ses traits
Affaiblis dans l'ombre incertaine,
Triomphe du roi des forêts.
Mais lui, levant son oeil où brille
Un rayon presque évanoui,
En écoutant ce Mascarille,
Il bâille avec un sombre ennui,
Et fier à son heure dernière
Comme un prince dans Ilion,
Il dit, secouant sa crinière:
Je meurs, mais je suis le Lion!