CAIPHE EN CONTEMPLATION
Les deux guetteurs du temple ont aperçu la lune;
Le mois commence.
Aux champs la terre est encor brune;
Il pleut sur le mont Glon et sur le mont Sion;
Mais l'hiver va finir. On fait l'ablution
Du temple, dont on brosse et dérouille les chaînes,
Les gonds et les verrous, pour les fêtes prochaines.
Seul près du grand autel derrière le rideau,
Pendant que, se courbant sur des vases pleins d'eau,
Et répandant partout le nard et l'hyacinthe,
Les lévites portiers lavent la triple enceinte,
S'interrompant parfois pour baiser les pavés.
Le grand-prêtre se tient debout, les bras levés.
On dirait un fantôme avec son blanc suaire.
L'arche est sur une estrade au fond du sanctuaire;
Elohim lui laissa l'empreinte de son doigt;
Un éblouissement l'environne, et l'on voit
Des boîtes de parfum d'aspic sur chaque marche
Du degré qui se perd sous la splendeur de l'arche.
Caïphe est de la chose éternelle occupé.
Un docteur cependant, Rosmophim de Joppé
A soulevé ce voile et marche vers Caïphe
Qui ne dérange pas son geste de pontife
Et n'ouvre qu'à demi son oeil vague et fermé.
Le prêtre dit : - Je viens. Je me suis informé,
Hannasci, de celui des douze auquel tu penses.
C'est lui que dans la bande on charge des dépenses;
Quand on voyage, il compte avec les hôteliers;
Les autres semblent fiers de porter leurs colliers;
Lui seul a l'air d'un loup parmi les chiens; sa voie
Est obscure; à Naïm, une fille de joie
Avait, avec du baume et des parfums, lavé
Les pieds du maître, un peu meurtris par le pavé;
Cet homme s'emporta contre elle jusqu'à dire :
Tu viens de perdre là pour vingt deniers de myrrhe!
Et Caïphe répond : - C'est l'homme qu'il faudrait.
- Oui, répond Rosmophim. Il est jaloux, secret,
Triste, oblique, inquiet, solitaire, économe.
Prince, tu désirais savoir comme on le nomme.
Je l'ignorais le jour où tu le demandas.
Je le sais aujourd'hui. - Quel est son nom? - Judas.