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 Gérard De Nerval (1808-1855) 5e lettre. Suite de l'histoire de la grand'tante de l'abbé de Bucquoy.

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Inaya
Plume d'Eau
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Gérard De Nerval (1808-1855) 5e lettre. Suite de l'histoire de la grand'tante de l'abbé de Bucquoy. Empty
MessageSujet: Gérard De Nerval (1808-1855) 5e lettre. Suite de l'histoire de la grand'tante de l'abbé de Bucquoy.   Gérard De Nerval (1808-1855) 5e lettre. Suite de l'histoire de la grand'tante de l'abbé de Bucquoy. Icon_minitimeJeu 30 Aoû 2012 - 22:17

5e lettre. Suite de l'histoire de la grand'tante de l'abbé de Bucquoy.

C'était l'esprit du temps, - où la lecture des poètes italiens faisait régner
encore, dans les provinces surtout, un platonisme digne de celui de Pétrarque.
On voit des traces de ce genre d'esprit dans le style de la belle pénitente à
qui nous devons ces confessions.
Cependant, le jour étant venu, La Corbinière sortit un peu tard par la grande
salle. Le comte, qui s'était levé de bonne heure, l'aperçut, sans pouvoir être
sûr au juste qu'il sortît de chez sa fille, mais le soupçonnant très fort.
"Ce pourquoi, ajoute la demoiselle, mon très cher papa resta ce jour-là très
mélancolique et ne faisait autre que de parler avec maman; pourtant l'on ne me
dit rien du tout." Le troisième jour, le comte était obligé de se rendre aux
funérailles de son beau-frère Manicamp. Il se fit suivre de La Corbinière, -
ainsi que d'un fils, d'un palefrenier et de deux laquais, et se trouvant au
milieu de la forêt de Compiègne, il s'approcha tout à coup de l'amoureux, lui
tira par surprise l'épée du baudrier, et, lui mettant le pistolet sur la gorge,
dit au laquais: "Otez les éperons à ce traître, et vous en allez un peu
devant..."
Interruption
Je ne voudrais pas imiter ici le procédé des narrateurs de Constantinople ou des
conteurs du Caire, qui, par un artifice vieux comme le monde, suspendent une
narration à l'endroit le plus intéressant, afin que la foule revienne le
lendemain au même café. - L'histoire de l'abbé Bucquoy existe; je finirai par la
trouver.
Seulement, je m'étonne que dans une ville comme Paris, centre des lumières, et
dont les bibliothèques publiques contiennent deux millions de livres, on ne
puisse rencontrer un livre français, que j'ai pu lire à Francfort, - et que
j'avais négligé d'acheter.
Tout disparaît peu à peu, grâce au système de prêt des livres, - et aussi parce
que la race des collectionneurs littéraires et artistiques ne s'est pas
renouvelée depuis la Révolution. Tous les livres curieux volés, achetés ou
perdus, se retrouvent en Hollande, en Allemagne et en Russie. - Je crains un
long voyage dans cette saison, et je me contente de faire encore des recherches
dans un rayon de quarante kilomètres autour de Paris.
J'ai appris que la poste de Senlis avait mis dix-sept heures pour vous
transmettre une lettre qui, en trois heures, pouvait être rendue à Paris. Je
pense que cela ne tient pas à ce que je sois mal vu dans ce pays, où j'ai été
élevé; mais voici un détail curieux:
Il y a quelques semaines, je commençais déjà à faire le plan du travail que vous
voulez bien publier, et je faisais quelques recherches préparatoires sur les
Bucquoy, - dont le nom a toujours résonné dans mon esprit comme un souvenir
d'enfance. Je me trouvais à Senlis avec un ami, un ami breton, très grand et à
la barbe noire. Arrivés de bonne heure par le chemin de fer, qui s'arrête à
Saint-Maixent, et ensuite par un omnibus, qui traverse les bois, en suivant la
vieille route de Flandre, - nous eûmes l'imprudence d'entrer au café le plus
apparent de la ville, pour nous y réconforter.
Ce café était plein de gendarmes, dans l'état gracieux qui, après le service,
leur permet de prendre quelques divertissements. Les uns jouaient aux dominos,
les autres au billard.
Ces militaires s'étonnèrent sans doute de nos façons et de nos barbes
parisiennes. Mais ils n'en manifestèrent rien ce soir-là.
Le lendemain, nous déjeunions à l'hôtel excellent de la Truite qui file (je vous
prie de croire que je n'invente rien), lorsqu'un brigadier vint nous demander
très poliment nos passeports.
Pardon de ces minces détails, - mais cela peut intéresser tout le monde...
Nous lui répondîmes à la manière dont un certain soldat répondit à la
maréchaussée, - selon une chanson de ce pays-là même... (J'ai été bercé avec
cette chanson.)
On lui a demandé:
Où est votre congé?
- Le congé que j'ai pris,
Il est sous mes souliers!
La réponse est jolie. Mais le refrain est terrible:
Spiritus sanctus,
Quoniam bonus!
Ce qui indique suffisamment que le soldat n'a pas bien fini... Notre affaire a
eu un dénoûment moins grave. Aussi, avions-nous répondu très honnêtement qu'on
ne prenait pas d'ordinaire de passeport pour visiter la grande banlieue de
Paris. Le brigadier avait salué sans faire d'observation.
Nous avions parlé à l'hôtel d'un dessein vague d'aller à Ermenonville. Puis, le
temps étant devenu mauvais, l'idée a changé, et nous sommes allés retenir nos
places à la voiture de Chantilly, qui nous rapprochait de Paris.
Au moment de partir, nous voyons arriver un commissaire orné de deux gendarmes
qui nous dit: "Vos papiers? "
Nous répétons ce que nous avions dit déjà.
- Hé bien! messieurs, dit ce fonctionnaire, vous êtes en état d'arrestation.
Mon ami le Breton fronçait le sourcil, ce qui aggravait notre situation.
Je lui ai dit: Calme-toi. Je suis presque un diplomate... J'ai vu de près, - à
l'étranger, - des rois, des pachas et même des padischas, et je sais comment on
parle aux autorités.
- Monsieur le commissaire, dis-je alors (parce qu'il faut toujours donner leurs
titres aux personnes), j'ai fait trois voyages en Angleterre, et l'on ne m'a
jamais demandé de passeport que pour me conférer le droit de sortir de France...
Je reviens d'Allemagne, où j'ai traversé dix pays souverains, y compris la
Hesse: - on ne m'a pas même demandé mon passeport en Prusse.
- Eh bien! je vous le demande en France.
- Vous savez que les malfaiteurs ont toujours des papiers en règle...
- Pas toujours...
Je m'inclinai.
- J'ai vécu sept ans dans ce pays; j'y ai même quelques restes de propriétés...
- Mais vous n'avez pas de papiers?
- C'est juste... Croyez-vous maintenant que des gens suspects iraient prendre un
bol de punch dans un café où les gendarmes font leur partie le soir?
- Cela pourrait être un moyen de se déguiser mieux.
Je vis que j'avais affaire à un homme d'esprit.
- Eh bien! monsieur le commissaire, ajoutai-je, je suis tout bonnement un
écrivain; je fais des recherches sur la famille des Bucquoy de Longueval, et je
veux préciser la place, ou retrouver les ruines des châteaux qu'ils possédaient
dans la province.
Le front du commissaire s'éclaircit tout à coup:
- Ah! vous vous occupez de littérature? Et moi aussi, monsieur! J'ai fait des
vers dans ma jeunesse... une tragédie.
Un péril succédait à un autre; - le commissaire paraissait disposé à nous
inviter à dîner pour nous lire sa tragédie. Il fallut prétexter des affaires à
Paris pour être autorisé à monter dans la voiture de Chantilly, dont le départ
était suspendu par notre arrestation.
Je n'ai pas besoin de vous dire que je continue à ne vous donner que des détails
exacts sur ce qui m'arrive dans ma recherche assidue.
Ceux qui ne sont pas chasseurs ne comprennent point assez la beauté des paysages
d'automne. - En ce moment, malgré la brume du matin, nous apercevons des
tableaux dignes des grands maîtres flamands. Dans les châteaux et dans les
musées, on retrouve encore l'esprit des peintres du Nord. Toujours des points de
vue aux teintes roses ou bleuâtres dans le ciel, aux arbres à demi effeuillés, -
avec des champs dans le lointain ou sur le premier plan des scènes champêtres.
Le voyage à Cythère de Watteau a été conçu dans les brumes transparentes et
colorées de ce pays. C'est une Cythère calquée sur un îlot de ces étangs créés
par les débordements de l'Oise et de l'Aisne, - ces rivières si calmes et si
paisibles en été.
Le lyrisme de ces observations ne doit pas vous étonner; - fatigué des querelles
vaines et des stériles agitations de Paris, je me repose en revoyant ces
campagnes si vertes et si fécondes; - je reprends des forces sur cette terre
maternelle.
Quoi qu'on puisse dire philosophiquement, nous tenons au sol par bien des liens.
On n'emporte pas les cendres de ses pères à la semelle de ses souliers, - et le
plus pauvre garde quelque part un souvenir sacré qui lui rappelle ceux qui l'ont
aimé. Religion ou philosophie, tout indique à l'homme ce culte éternel des
souvenirs.
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Gérard De Nerval (1808-1855) 5e lettre. Suite de l'histoire de la grand'tante de l'abbé de Bucquoy.
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