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 Gérard De Nerval (1808-1855) Suite des Amours de Vienne II

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Gérard De Nerval (1808-1855) Suite des Amours de Vienne   II Empty
MessageSujet: Gérard De Nerval (1808-1855) Suite des Amours de Vienne II   Gérard De Nerval (1808-1855) Suite des Amours de Vienne   II Icon_minitimeDim 2 Sep - 23:45

II

Je suis obligé d'expliquer que Pandora fait suite aux aventures que j'ai
publiées autrefois dans la Revue de Paris, et réimprimées dans l'introduction de
mon Voyage en Orient, sous ce titre: Les Amours de Vienne. Des raisons de
convenance qui n'existent plus, j'espère, m'avaient forcé de supprimer ce
chapitre. S'il faut encore un peu de clarté, permettez-moi de vous faire
réimprimer les lignes qui précédaient jadis ce passage de mes Mémoires. J'écris
les miens sous plusieurs formes, puisque c'est la mode aujourd'hui. Ceci est un
fragment d'une lettre confidentielle adressée à M. Théophile Gautier, qui n'a vu
le jour que par suite d'une indiscrétion de la police de Vienne, - à qui je
pardonne, - et il serait trop long, dangereux peut-être, d'appuyer sur ce point.
Voici le passage que les curieux ont le droit de reporter en tête du premier
article de Pandora.
"Représente-toi une grande cheminée de marbre sculpté. Les cheminées sont rares
à Vienne, et n'existent guère dans les palais. Les fauteuils et les divans ont
les pieds dorés. Autour de la salle, il y a des consoles dorées; et les
lambris... ma foi, il y a aussi des lambris dorés. La chose est complète comme
tu vois. Devant cette cheminée, trois dames charmantes sont assises: l'une est
de Vienne; les deux autres sont, l'une Italienne, l'autre Anglaise. L'une des
trois est la maîtresse de la maison. Des hommes qui sont là, deux sont comtes,
un autre est un prince hongrois, un autre est ministre, et les autres sont des
jeunes gens pleins d'avenir. Les dames ont parmi eux des maris et des amants
dévoués, connus; mais tu sais ne les amants passent en général à l'état de
maris, c'est-à-dire ne comptent plus comme individualité masculine. Cette
remarque est très forte, songes-y bien.
"Ton ami se trouve donc seul d'homme dans cette société à bien juger sa
position; la maîtresse de la maison mise à part (cela doit être), ton ami a donc
des chances de fixer l'attention des deux dames qui restent, et même il a peu de
mérite à cela par les raisons que je viens d'exposer.
Ton ami a dîné confortablement; il a bu des vins de France et de Hongrie, pris
du café et de la liqueur; il est bien mis, son linge d'une finesse exquise, ses
cheveux sont soyeux et frisés très légèrement, ton ami fait du paradoxe, ce qui
est usé depuis dix ans chez nous, et ce qui est ici tout neuf. Les seigneurs
étrangers ne sont pas de force à lutter sur ce bon terrain que nous avons tant
remué. Ton ami flamboie et pétille; on le touche, il en sort du feu.
Voilà un homme bien posé; il plaît prodigieusement aux dames; les hommes sont
très charmés aussi. Les gens de ce pays sont si bons! Ton ami passe donc pour un
causeur agréable. On se plaint qu'il parle peu; mais, quand il s'échauffe, il
est très bien!
Je te dirai que, des deux dames, il en est une qui me plaît beaucoup, et l'autre
beaucoup aussi. Toutefois l'Anglaise a un petit parler si doux, elle est si bien
assise dans son fauteuil; de beaux cheveux blonds à reflets rouges, la peau si
blanche, de la soie, de la ouate et des tubes, des perles et des opales; on ne
sait pas trop ce qu'il y a au milieu de tout cela, mais c'est si bien arrangé!
C'est un genre de beauté et de charme que je commence à présent à comprendre; je
vieillis. Si bien que me voilà à m'occuper toute la soirée de cette jolie femme
dans son fauteuil. L'autre paraissait s'amuser beaucoup dans la conversation
d'un monsieur d'un certain âge qui semble fort épris d'elle et dans les
conditions d'un patito tudesque, ce qui n'est pas réjouissant. Je causais avec
la petite dame bleue; je lui témoignais avec feu mon admiration pour les cheveux
et le teint des blondes. Voici l'autre, qui nous écoutait d'une oreille, qui
quitte brusquement la conversation de son soupirant et se mêle à la nôtre. Je
veux tourner la question. Elle avait tout entendu. Je me hâte d'établir une
distinction pour les brunes qui ont la peau blanche; elle me répond que la
sienne est noire... de sorte que voilà ton ami réduit aux exceptions, aux
conventions, aux protestations. Alors je pensais avoir beaucoup déplu à la dame
brune. J'en étais fâché, parce qu'après tout elle est fort belle et fort
majestueuse dans sa robe blanche, et ressemble à la Grisi dans le premier acte
de Don Juan. Ce souvenir m'avait servi, du reste, à rajuster un peu les choses.
Deux jours après, je me rencontre au casino avec l'un des comtes qui étaient là;
nous allons par occasion dîner ensemble, puis au spectacle. Nous nous lions
comme cela. La conversation tombe sur les deux dames dont j'ai parlé plus haut,
il me propose de me présenter à l'une d'elles: la noire. J'objecte ma maladresse
précédente. Il me dit qu'au contraire cela avait très bien fait. - Cet homme est
profond."
De colère, je renversai le paravent, qui figurait un salon de campagne. - Quel
scandale! - Je m'enfuis du salon à toutes jambes, bousculant, le long des
escaliers, des foules d'huissiers à chaînes d'argent et d'heiduques galonnés, et
m'attachant des pattes de cerf, j'allai me réfugier honteusement dans la taverne
des Chasseurs.
Là, je demandai un pot de vin nouveau; que je mélangeai d'un pot de vin vieux,
et j'écrivis à la déesse une lettre de quatre pages d'un style abracadabrant. Je
lui rappelais les souffrances de Prométhée, quand il mit au jour une créature
aussi dépravée qu'elle. Je critiquai sa boîte à malice et son ajustement de
bayadère. J'osai même m'attaquer à ses pieds serpentins, que je voyais passer
insidieusement sous sa robe. - Puis j'allai porter là lettre à l'hôtel où elle
demeurait.
Sur quoi je retournai à mon petit logement de Léopoldstadt, où je ne pus pas
dormir de la nuit. Je la voyais dansant toujours avec deux cornes d'argent
ciselé, agitant sa tête empanachée, et faisant onduler son col de dentelles
gaufrées sur les plis de sa robe de brocart.
Qu'elle était belle en ses ajustements de soie et de pourpre levantine, faisant
luire insolemment ses blanches épaules, huilées de la sueur du monde. Je la
domptai en m'attachant désespérément à ses cornes, et je crus reconnaître en
elle l'altière Catherine, impératrice de toutes les Russies. J'étais moi-même le
prince de Ligne, et elle ne fit pas de difficulté de m'accorder la Crimée, ainsi
que l'emplacement de l'ancien temple de Thoas. - Je me trouvai tout à coup
moelleusement assis sur le trône de Stamboul.
- Malheureuse! lui dis-je, nous sommes perdus par ta faute, et le monde va
finir! Ne sais-tu pas qu'on ne peut plus respirer ici? L'air est infecté de tes
poisons, et la dernière bougie qui nous éclaire encore tremble et pâlit déjà au
souffle impur de nos haleines... De l'air! de l'air!. Nous périssons!
- Mon seigneur, cria-t-elle, nous n'avons à vivre que sept mille ans! Cela fait
encore mille cent quarante!
- Septante sept mille? Lui dis-je et des millions d'années en plus: des
nécromanciens se sont trompés.
Alors s'élança, rajeunie des oripeaux qui la couvraient, et son vol se perdit
dans le ciel pourpré du lit à colonnes. Mon esprit flottant voulut en vain la
suivre: elle avait disparu pour l'éternité.
J'étais en train d'avaler quelques pépins de grenade. Une sensation douloureuse
succéda dans ma gorge à cette distraction. Je me trouvai étranglé. On me trancha
la tête qui fut exposée à la porte du sérail, et j'étais mort tout de bon, si un
perroquet passant à tire d'aile n'eût avalé quelques-uns des pépins que j'avais
rejetés.
Il me transporta à Rome sous les berceaux fleuris de la treille du Vatican, où
la belle Imperia trônait à la table sacrée, entourée d'un conclave de cardinaux.
A l'aspect des plats d'or, je me sentis revivre et je lui dis: "Je te reconnais
bien, Jésabel!" Puis un craquement se fit dans la salle. C'était l'annonce du
Déluge, opéra en trois actes. Il me sembla alors que mon esprit perçait la
terre, et, traversant à la nage les bancs de corail de l'Océan et la mer
pourprée des tropiques, je me trouvai jeté sur la rive ombragée de l'île des
Amours. C'était la Plage de Taïti. Trois jeunes filles m'entouraient et me
faisaient peu à peu revenir. Je leur adressai la parole. Elles avaient oublié la
langue des hommes. "Salut, mes soeurs du Ciel", leur dis-je en souriant.
Je me jetai hors du lit comme un fou; il faisait grand jour; il fallait attendre
jusqu'à midi pour aller savoir l'effet de ma lettre. La Pandora dormait encore
quand j'arrivai chez elle. Elle bondit de joie et me dit: "Allons 'au Prater, je
vais m'habiller." Pendant que je l'attendais dans son salon, le prince*** frappa
à la porte et me dit qu'il revenait du château. Je l'avais cru dans ses terres.
Il me parla longtemps de sa force à l'épée, et de certaines rapières dont les
étudiants du Nord se servent dans leurs duels. Nous nous escrimions dans l'air
quand notre double étoile apparut. Ce fut alors à qui ne sortirait pas du salon.
Ils se mirent à causer dans une langue que j'ignorais; mais je ne lâchai pas un
pouce de terrain. Nous descendîmes l'escalier, tous trois ensemble, et le prince
nous accompagna jusqu'à l'entrée du Kohlmarkt.
"Vous avez fait de belles choses, me dit-elle, voilà l'Allemagne en feu pour un
siècle."
Je l'accompagnai chez son marchand de musique; et, pendant qu'elle feuilletait
des albums, je vis accourir le vieux marquis en uniforme de magyar, mais sans
bonnet, qui s'écriait: "Quelle imprudence! Les deux étourdis vont se tuer pour
l'amour de vous." Je brisai cette conversation ridicule, en faisant avancer un
fiacre. La Pandora donna l'ordre de toucher Dorothee-Gasse, chez sa modiste.
Elle y resta enfermée une heure, puis elle dit en sortant:
- Je ne suis entourée que de maladroits.
- Et moi? observai-je humblement.
- Oh! vous, vous avez le numéro un.
- Merci! répliquai-je.
Je parlai confusément du Prater, mais le vent avait changé. Il fallut la ramener
honteusement à son hôtel, et mes deux écus d'Autriche furent à peine suffisants
pour payer le fiacre.
De rage, j'allai me renfermer chez moi, où j'eus la fièvre. Le lendemain matin,
je reçus un billet de répétition qui m'enjoignait d'apprendre le rôle de la
Vieille pour jouer la pièce intitulée: Deux mots dans la forêt.
Je me gardai bien de me soumettre à une nouvelle humiliation, et je repartis
pour Salzbourg, où j'allai réfléchir amèrement dans l'ancienne maison de Mozart,
habitée aujourd'hui par un chocolatier.
Je n'ai revu la Pandora que l'année suivante, dans une froide capitale du Nord.
Ma voiture s'arrêta tout à coup au milieu de la grande place, et un sourire
divin me cloua sans forces sur le sol. - "Te voilà encore, enchanteresse,
m'écriai-je, et la boîte fatale, qu'en as-tu fait?
- Je l'ai remplie pour toi, dit-elle, des plus beaux joujoux de Nuremberg. Ne
viendras-tu pas les adorer?"
Mais je me pris à fuir à toutes jambes vers la place de la Monnaie. - "O fils
des dieux, père des hommes! criait-elle, arrête un peu. C'est aujourd'hui la
Saint-Sylvestre comme l'an passé... Où as-tu caché le feu du ciel que tu dérobas
à Jupiter?"
Je ne voulus pas répondre: le nom de Prométhée me déplaît toujours
singulièrement, car je sens encore à mon flanc le bec éternel du vautour dont
Alcide m'a délivré.
O Jupiter! quand finira mon supplice?
Appendice. On me fit remarquer au palais de France que j'étais fort en retard.
La Pandora dépitée s'amusait à faire faire l'exercice à un vieux baron et à un
jeune prince grotesquement vêtu en étudiant de carnaval. Ce jeune renard avait
dérobé à l'office un chandelier de prix dont il s'était fait un poignard. Il en
menaçait les tyrans en déclamant des vers de tragédie et en invoquant l'ombre de
Schiller.
Pour tuer le temps, on avait imaginé de louer une charade à l'impromptu. - Le
mot de la première était Maréchal. Mon premier c'est marée. - Vatel, sous les
traits d'un jeune attaché d'ambassade, prononçait un soliloque avant de se
plonger dans le coeur la pointe de son épée de gala. Ensuite un aimable
diplomate rendait visite à la dame de ses pensées; il avait un quatrain à la
mai. et laissait percer la frange d'un schall dans la poche de son habit. -
Assez, suspends! (sur ce pan) disait la maligne Pandora en tirant à elle le
cachemire vrai-Biétry , qui se prétendait tissu de Golconde.
Elle dansa ensuite le pas du schall avec une négligence adorable. Puis la
troisième scène commença et l'on vit apparaître un illustre Maréchal coiffé de
chapeau historique. On continua par une autre charade dont le mot était
Mandarin. Cela commençait par un mandat qu'on me fit signer, et où j'inscrivis
le nom glorieux de Macaire (Robert), baron des Adrets, époux en secondes noces
de la trop sensible Eloa. Je fus très applaudi dans cette bouffonnerie. Le
second terme de la charade était Rhin. On chanta les vers d'Alfred de Musset. Le
tout amena l'apparition d'un véritable Mandarin drapé d'un cachemire, qui, les
jambes croisées, fumait paresseusement son houka.
Il fallut encore que la séduisante Pandora nous jouât un tour de sa façon. Elle
apparut en costume des plus légers, avec un caraco blanc brodé de grenats et une
robe volante d'étoffe écossaise. Ses cheveux. nattés en forme de lyre se
dressaient sur sa tête brune ainsi que deux cornes majestueuses. Elle chanta
comme un ange la romance de Déjazet: je suis Tchinka!
On frappa enfin les trois coups pour le proverbe intitulé Madame Sorbet. Je
parus en comédien de province comme le Destin dans le Roman comique. Ma froide
Etoile s'aperçut que je ne savais pas un mot de mon rôle et prit plaisir à
m'embrouiller. Le sourire glacé des spectateurs accueillit mes débuts et me
remplit d'épouvante. En vain le vicomte s'exténuait à me souffler les belles
phrases perlées de M. Théodore Leclercq, je fis manquer la représentation.
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Gérard De Nerval (1808-1855) Suite des Amours de Vienne II
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