PLUME DE POÉSIES
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 Marcel Dugas (1883-1947) À la mémoire d'Adolphe Olivier : L'homme dans le champ de carnage

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James
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Marcel Dugas (1883-1947) À la mémoire d'Adolphe Olivier : L'homme dans le champ de carnage  Empty
MessageSujet: Marcel Dugas (1883-1947) À la mémoire d'Adolphe Olivier : L'homme dans le champ de carnage    Marcel Dugas (1883-1947) À la mémoire d'Adolphe Olivier : L'homme dans le champ de carnage  Icon_minitimeDim 16 Déc - 14:28

À la mémoire d'Adolphe Olivier

L'homme dans le champ de carnage





Ce champ, c'est nous-mêmes!
Théâtre en chair et en os; réalité soumise à la joie, à
l'enthousiasme et à la dépression; substance qu'habitent à la
fois le plaisir, la douleur, la vérité et le mensonge; oeuvre
vivante qui n'est jamais terminée et se poursuit sous
l'inspiration de génies contraires. Tout cela, véracités de
l'esprit, possibilités du coeur, et ce que peuvent engendrer -
au sens de l'éternel - des vitalités méconnues ou méprisées;
tout cela se lève, produit un reflux d'émois et de concepts qui
s'affaissent, aussitôt dressés dans la lumière.
De ce moi troublé, contradictoire, dominé par de saines,
hautes et mauvaises raisons, comme la puissance du mal s'en
échappe, faisant pâlir celle du bien!
Cruels, ennemis du vrai, spectateurs déçus de réalités qui
s'entrechoquent, nous sommes un champ de carnage, de
luttes et de défaites. Et cependant, malgré les forces obscures,
secrètes qui multiplient catastrophes et ruines, l'illusion
demeure chère aux hommes puisqu'ils s'acharnent, depuis
des siècles, à la création idéale d'eux-mêmes. Hélas!
l'humanité vit de mensonges; ils semblent nécessaires à son
existence qui ne recueille cependant que les ombres des
ombres. Et le poème de vivre s'ébauche douloureusement.
...La mort plane, se repaît des heures qui s'écoulent.

Tous, nous mourons des vérités de notre être, de les avoir
agitées, en vain, au-dessus de nos têtes avant de les ramener
ensuite dans le cachot de l'âme, moribondes.
Quelle promenade que celle des âmes, cependant, et quel
délire! Attitudes, provocations, révoltes, discours dans la
nuit, supplications qui tombent dans le vide.
Et puis le silence qui est, à lui seul, un drame où elles
s'écoutent penser sans se livrer par des mots, des confessions,
des adieux.
Au sein de leurs mystères, elles se devinent pourtant,
penchées sur la mer de ténèbres qui bat la terre de ses houles.
Elles se cherchent, s'appellent, se croisent, se respirent.
Glace rompue, elles chuchotent des confidences,
embusquées derrière des phrases; elles se livrent même
quand elles se mentent.
La minute enivrante est déjà passée lorsqu'elles la
désirent.
À force de se joindre, de se parler, elles s'épandent en
distractions, en prose balbutiée et le moment, souhaité entre
tous, qui les verrait se donner la communion choisie, vole,
monte, nargue, s'éteint.
Les âmes ont leur destin, des abris temporaires, fictifs, où
elles vont se réfugier, là, un instant, avant de remonter dans
l'azur, portées sur des ailes de chimères ou demeurées
pantelantes sur l'écueil de l'illusion.
Avant d'accepter l'inévitable, et ramenées souvent à la
raison, les âmes s'exaltent, puis se reposent de leur course,
s'interrogent, se sentent gémir et pleurer: tout revient sur le

fil électrique que sont les nerfs: mots, pensées, désirs,
sensations, vérités évidentes, et au bout, l'acceptation, le
penchement de la tête sur une volonté résignée.
Le sang ruisselle; et autour du coeur et de la tête, se
produit une musique inexprimable, faite du soupir des nuits
où l'on veut mourir, de gémissements qui, au milieu de
l'ivresse des sens, s'exhalent, perdus, - beau chant fragmenté
et que n'achèvent pas les paroles, l'espérance ou le désir.
L'effroyable, c'est l'impression que les mêmes heures ne
reviennent jamais, que certaine pâleur du front ne s'est pas
mirée dans un regard douloureux; que demain va paraître
sans qu'hier lui lègue sa fièvre et que nous aurons passé
cherchant en vain la vie.
Le champ de carnage, c'est nous-mêmes.
J'entends des voix...
L'une dit:
« Ne regrette pas d'avoir parlé, à l'heure de minuit, sur la
route, et sans que personne entendît tes plaintes; elles
jaillissaient si intenses que leur vérité t'agrandissait en
t'accablant.
« Ne cherche même pas à les retrouver; laisse-les à
l'espace, à la nuit étoilée; le destin est immuable; tout un
coeur déchiré avec sa plainte ne saurait le fléchir. »
L'autre:
« Un univers de musiques habite en moi; des harmonies
qui semblaient de la matière unie à de l'esprit, ou le
gémissement de l'homme en proie à la fièvre de créer.
« Chercheur ébahi de ses verbes, de ses sanglots et de ses
visions, j'ai aperçu se hausser des dieux dans la nuit des

mondes, et, dans un embrasement, s'éprendre des volontés
armées de délire: toute une moisson d'épis balancés sous la
brise crier vers le soleil, la lumière, l'amour.
« Parmi la caresse des vents, j'ai senti la terre, ronde en sa
plénitude, rouler son tourment vers l'incorruptible beauté des
astres.
« Je vous ai accueillies, dans mes bras, Nuits divines,
offrant, en prodigues ferventes parmi les parfums, le
blasphème et la douleur, la pulpe ardente de vos lèvres.
« J'ai annoncé aux autres mon festin en leur prédisant que
les roses qui orneraient leurs tempes cacheraient les plus
meurtrières des épines, et que le vin, débordant des calices,
ne serait qu'un poison.
« J'ai dit la flamme, le rêve, la souffrance, la volupté, la
mort.
« Et ils ont ri de ce banquet.
« Ils sont allés à d'autres fêtes, mais je sais que leurs
festins, à eux, avaient aussi des poisons qui donnent de la
mort.
« Courbé sur un chevet d'insomnies, le regard las de
fausses lumières, j'ai salué le spadassin du jour dirigeant ses
flèches de pourpre vers la nudité de l'aurore. »
Cette autre:
« Mon âme, vous me l'avez à peine révélée, vous vers qui
je m'étais avancé les mains ouvertes, le coeur prêt à recevoir
en se donnant.
« L'intelligence paraissait à ma studieuse jeunesse un
royaume digne d'être conquis.

« Je cherchais les raisons et les nombres, et la beauté avait
fait de moi un de ses craintifs et fiévreux esclaves.
« Je m'étonnais de la folie des hommes et de leurs
cruautés.
« J'ai interrogé le sphinx; j'ai crié vers lui, tâché de
déchiffrer les secrets enfouis dans son front, receleur de
mystères.
« De colère, un jour, je l'ai frappé pour qu'il me livre des
fables que j'eusse apportées aux autres hommes, mes frères,
avec ma science, mes sanglots et mes larmes.
« Il fut sourd à mes cris, aux supplications que, la poitrine
gonflée de douleur et de désir, je poussais vers son immensité
et son silence mortuaire.
« La vie, ce ne serait alors que des mirages qui se lèvent
et créent, pour nos regards intérieurs, l'illusion divine.
« Tout n'était donc que rythmes barbares dans une nature
ivre de meurtres et de carnages?
« La roue du destin broyait les êtres sans pitié; elle les
choisissait à l'heure où l'aube de la jeunesse organise dans
l'âme, ouverte à la connaissance, un orchestre savant
d'harmonies.
« Oui, la mort, voleuse impitoyable, est venue m'arracher
ma jeunesse pour en faire un paquet de boue et de poussière.
« J'eus, sur la nécessité, cette illusoire revanche de partir,
pour les ombres inflexibles, escorté de la clameur divine des
poètes.
« Mon agonie s'est confondue avec les sanglots des
maîtres de la pensée et du verbe. Et je suis entré dans la nuit
avec des paroles de lumière et d'amour. »

Celle-ci:
« Est-ce que les figures s'éteignent peu à peu?
« Est-ce que les images deviennent indécises jusqu'à se
dissoudre dans le vent?
« Est-ce que le désir, à force de n'être pas assouvi, ne
meurt pas lentement dans le coeur humain?
« Est-ce que les yeux qui ne se voient pas s'habitueraient
à ne plus se désirer?
« Est-ce que l'amour se changerait en chose usuelle,
nécessaire comme de manger, de boire ou de dormir?
« Est-ce que ce pourrait ne plus être l'émerveillement
sans fin? »
Celle-là:
« Je souffre: toutes mes dents souffrent, toute ma tête
souffre, mes mains souffrent, et mes pieds, et mes bras, et
mon corps entier; et mon désir jamais fini et mon âme dont le
rêve ne s'éteindra pas.
« Je suis conscient de souffrir, de me regarder pantelant,
déchiré, parce que je m'assure cruellement de l'amour, de sa
persistance, du tintement de son grelot dans ma tête et mon
âme.
« Je pleure dans le vent, le matin, le soir, la nuit.
« Je pleure; j'espère; je doute et je souris parce que j'ai
douté. Et je goûte la tristesse de ce sourire; c'est une boisson
amère. »

Celle-là encore:
« Je m'en suis allé avec des aveugles et ce départ me
faisait mal comme s'il eût enfermé quelque symbole
effrayant.
« Je suis parti dans la nuit avec des aveugles et des sourds
et j'ai cru que je deviendrais aveugle et sourd; et il me
semblait que, sur cette barque fouettée par les vents d'orage,
je n'aurais pas souffert d'être aveugle ou sourd ou que,
plutôt, ne sachant rien, j'eusse été, probablement, infiniment
malheureux de ne plus voir ni entendre, de ne plus connaître
la réalité, même douloureuse, de ne plus écouter des mots qui
disent la vérité, même indicible. Abîmes et contradictions!
« J'ai rompu du pain avec des aveugles et des sourds; j'ai
bu de leur vin.
« Et puis, je m'en suis allé dans la nuit, le vent, tout seul,
si seul! et j'ai bu mon âme, mes pensées devenues salées
comme la mer.
« Le matin me surprit rompu d'angoisse. J'ai regardé en
moi-même, en mes sensations; j'ai touché mes yeux, mon
être. Et il m'a semblé que j'étais devenu, pour jamais, un
sourd et un aveugle. »
Et cette voix désespérée:
« J'ai eu, à nouveau, la tentation de l'abîme. Jamais je
n'aperçois un lac, un fleuve ou une rivière sans frissonner et
me sentir pousser à y élire un repos immuable. Jadis, la mer
avec sa vastitude et son infini me constituait son prisonnier
lyrique et passionné sur des navires qui m'ont vu attaché,
durant des heures, à leur proue. Nulle harmonie ne m'a
semblé comparable à la plainte de l'océan. Je me suis saoulé
des gémissements qu'il jetait à l'espace, et, si la lune laissait

parfois sa traîne de diamants fulgurer sur les vagues, c'est
dans ses plis que mon imagination trouvait une mort idéale.
Ô mer inoubliable!
« J'ai eu, à nouveau, la tentation de l'abîme. C'était aux
bords d'un lac où éclatait une végétation folle et sauvage. Le
mépris des hommes et de leurs impostures, le goût du silence
et de la solitude m'y avaient conduit.
« Mon imagination peuplait l'horizon de souvenirs qui me
composaient une société choisie. Ces êtres idéaux dansaient
dans un souple et capricieux éther. Et ce n'était que
vibrations d'ailes, caresses des choses.
« Penché sur des lys d'eau, je respirais ces fleurs qui, dans
leur tentative désespérée de jouir de la lumière, avaient
vaincu les puissances de l'abîme; je saluais leur pacifique
victoire; je goûtais leur faiblesse redoutable, la vie qui, en
elles, s'était réalisée en un poème de liliale beauté et, sur un
domaine plein de mystères, érigée, glorieuse!
« Je savais que des morts gisaient là, pacifiés de tout leur
tragique destin et qu'ils ne connaissaient plus l'iniquité de la
lumière. Je désirerais les y rejoindre, leur demander de
partager avec moi les secrets de leur agonie et leur désormais
intangible repos.
« Je me préparais à descendre dans la mort; déjà, au bord
des lèvres, l'eau me présentait ses breuvages d'oubli quand,
soudain, un chant de la rive me fit sentir la beauté de la terre:
c'était une voix pure qui s'élevait dans un frémissement de
cristal.
« Je m'arrachai à l'étreinte de la froide déesse. Mes mains
étaient couvertes de glaise, et dans ma bouche demeurait la
saveur âcre des algues, de la mort, du néant.

« Sur le miroir du lac, les lis d'eau, qui avaient assisté au
drame de la tentation, continuaient de boire les rayons, et de
frémir.
« Auprès d'eux, j'étais un vainqueur sombre, devant les
flots, le mystère, les jeux du destin et de l'avenir. »
Le champ de carnage, c'est nous-mêmes.

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James

Marcel Dugas (1883-1947) À la mémoire d'Adolphe Olivier : L'homme dans le champ de carnage  Une_pa12Marcel Dugas (1883-1947) À la mémoire d'Adolphe Olivier : L'homme dans le champ de carnage  Plumes19Marcel Dugas (1883-1947) À la mémoire d'Adolphe Olivier : L'homme dans le champ de carnage  James_12Marcel Dugas (1883-1947) À la mémoire d'Adolphe Olivier : L'homme dans le champ de carnage  Confes12


Marcel Dugas (1883-1947) À la mémoire d'Adolphe Olivier : L'homme dans le champ de carnage  Sceau110
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