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 Marcel Dugas (1883-1947) À la mémoire d'Adolphe Olivier : La défaite du printemps

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James
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Marcel Dugas (1883-1947) À la mémoire d'Adolphe Olivier : La défaite du printemps Empty
MessageSujet: Marcel Dugas (1883-1947) À la mémoire d'Adolphe Olivier : La défaite du printemps   Marcel Dugas (1883-1947) À la mémoire d'Adolphe Olivier : La défaite du printemps Icon_minitimeDim 16 Déc - 14:31

La défaite du printemps


Sur des terres d'où s'est enfuie la joie d'aimer et de vivre,
le soleil promène ses rayons: il marche tout le jour, environné
de sa gloire et de prismes aveuglants; il est un dieu cruel qui
se plaît aux sarcasmes terrestres. Cependant que la mort
s'avive, se repaît de mille têtes, il se fascine, éternel Narcisse,
dans je ne sais quelle fantasmagorie de rires et de miracles
verdoyants. Il est la vie qui coopère à la dévastation, aux
forces brutales, au destin. De sa bouche rayée de feu, quel
hymne guttural s'élance! Ne dirait-on pas une mappemonde
en délire, un symbole de l'anarchique cosmos, je ne sais quel
dieu barbare, roi diurnal d'un temps meurtrier, qui s'accorde
à la sauvagerie des hommes et leur répond à sa manière? Et
les étoiles, qui ne savent pas mentir, elles, et la lune vêtue de
mystères et de halos sont toutes tristes; elles frissonnent de
l'exil du soleil dans une conception de fureur qui s'intitule la
force. Le crime de la terre rejaillit jusqu'aux comètes; les
correspondances s'établissent de toutes choses. Pour que
l'iniquité ne soit pas à jamais consacrée, voilà que la
faiblesse se fait amour afin de sauver la force qui s'égare.
Les étoiles frémissent, protestent; la lune a mis son voile
de mélancolie et, sur sa robe transparente, il semble qu'elle
traîne tous les soupirs des âmes écrasées.
Le printemps cache une multiple défaite! En vain les
feuilles éclatent dans la joie de vivre! En vain le choeur
aérien des harmonies du printemps chante en la sérénité du

soir! Mai nous arrive sur des vagues de sang: la brise du
matin si douce, douce comme caresse de mère, est grosse de
sanglots.
Pourtant, malgré le deuil de la terre, quelle fête de surface
s'est préparée, qui assure le triomphe de la vie sur la mort! Le
ciel s'ouvre au-dessus des toits, des flèches d'églises, de la
foule courant à ses plaisirs, et laisse tomber sur les choses
une poussière dorée, un rayonnement qui pique de la flamme
aux brins d'herbe. Des battements d'ailes qui bruissent, se
soulèvent, retombent, se frappent, font taches sur l'horizon.
Les arbres ne tendent plus au firmament des branches
dépouillées; une dentelle verte a dérobé le cynisme de leurs
bras nus. De légers nuages bordés de lumière passent
lentement sur l'azur. On dirait des gondoles frôlant les
cryptes astrales.
Vers les lointains, le vent les pousse. Premier baiser de la
vie terrestre, emporté dans les plis des ondes célestes avec le
parfum et le tressaillement des choses, pendant que le dieu
Printemps, secouant dans l'espace sa tunique, jette çà et là, en
une pluie abondante, des germes créateurs de vie. Le sol est
travaillé de résurrections; sur des frêles tiges, tulipes et
jacinthes se veulent épanouir. Fouettée de parfums, la terre,
abreuvée de la caresse humide des aurores, vibre de
jubilations sourdes, inarrêtées. C'est le printemps dressé dans
la fête des choses, un printemps qui appelle l'amour, où les
bouquets de cerisiers simulent des couronnes de liliales
épouses. - Une levée d'arbres et de roses, de buissons
hospitaliers aux oiseaux en amour, qui nous offre ses
verdures, ses rayons et son cri. Dominateur, géant qui écrase

la vanité des hommes et des choses, le Mont-Royal se
précipite dans la lumière.
On dirait que la terre pourrait être heureuse, qu'elle se
pare en cet espoir-là: et que le temps, par un miracle
magique, ne connaîtra plus la mort. En puissance, rêves,
illusions, beauté fleurissent l'âme humaine. Est-ce que de
neuves espérances ne vont pas s'ouvrir et la douleur
s'arrêter? Ah! si elle allait s'éteindre une fois qui serait la
dernière! Si elle consentait à n'être plus l'hôte de la terre et à
permettre que la vie fût, désormais, un long chant
d'adoration, d'enivrantes réalités!
Leurre, leurre certain! Ce printemps éclaire des coeurs
bouleversés, des âmes aux espoirs défaits; et, sur des plaines
labourées de sang, piétinées par les chevaux, une moisson de
jeunes hommes, mes frères, n'ayant pas choisi la mort, vont
s'anéantir.
Alcibiade se meurt, Alcibiade va mourir!
C'est la mort du printemps. Quelle moisson dans nos
filets de pauvres têtes coupées! jamais, de leurs yeux éblouis,
elles ne verront désormais la beauté des matins ou la
magnificence des soirs! Elles ne les ouvriront plus sur les
renaissances, les prés de velours, la mousse qui lèche le tronc
des arbres, les frondaisons d'or, ou devant le rire de l'aube.
Jamais plus elles n'entendront, dans la poésie des heures qui
agonisent, les oiseaux chanter à travers les cloches de
l'église, et, au milieu du silence des nuits, jamais plus elles
ne pleureront, en voyant la lune glisser sur le talus des
tombes. Éternellement pâles du baiser mortel, elles ne
frémiront plus, ardentes d'orgueil trahi, sous la caresse de
l'amour. Elles ne frémiront plus!

Que va-t-il donc rester d'eux qui soit vif comme une
présence, témoigne encore de la danse sacrée sur le rivage
terrestre? un chant perdu, une parole qui s'égale à l'adieu des
cygnes mourants sous le silence des nuits: la voix des
éléments, le mugissement de la mer, la fraîcheur du jour qui
naît, ou, sur tous ces enfants de la mort, emplis d'éternité,
seule, la prière d'une mère? quelque cantique tombant sur la
steppe dévastée de l'âme humaine...
C'est la défaite du printemps! Néron dit adieu à l'amour,
aux violettes, il s'en va vers la férocité.
Déjà, il a commandé que l'on tue des esclaves; déjà, il
trempe dans le meurtre ses mains qu'il aurait pu consacrer à
l'amour. Ironique, crispé, Pétrone avec mélancolie déchire le
cantique qu'il dédiait au plaisir.
Tous les Nérons, tous les Alcibiades, d'ailleurs, s'élancent
au carnage, au sac des villes et des hameaux, à la destruction
des cathédrales. Les vierges s'arrachent de leurs bras, ploient
comme des tiges à jamais brisées.
Le printemps voit cette ironie de la terre, de la jeunesse,
se levant tout armée pour l'oeuvre de mort, devant un soleil
qui, hier, commandait la vie et l'amour. Le printemps est
défait! Ils ont crié tellement fort; ils ont tellement lancé vers
le ciel la clameur de destruction que le printemps aussi
semble fatigué, qu'il s'affaisse comme s'il allait s'évanouir.
Ce printemps donne l'impression d'une chose brûlante qui ne
sera pas apaisée, ou, selon les heures, de mourir avec les êtres
et les choses.
Et qui ne porte en soi un printemps dont, chaque jour, il
est dépris par une fin crucifiante?

Printemps sacré dont la renaissance me fut une mort si
difficile ! ...
Printemps dionysiaque où, pour aimer, dans une nuit qui
s'est éteinte, des lèvres s'étaient mises à rougir! Printemps
fini, quel que fût ton visage, d'amour ou d'angoisse, je te
garde serré à moi-même, comme une image éloquente des
heures qui se dérobent, une cicatrice où j'irai boire le sang de
la vie.
Printemps qui s'émerveille de lui-même, printemps vierge
et musqué, ironique et trompeur, oh! cher printemps libertin,
dont tous les bouquets secouent les effluves du désir, de la
tendresse et de l'espoir, tu m'as vieilli! Mais je suis si jeune!
Je m'élancerai, invaincu, sur la route de l'espérance,
acceptant toutes les musiques, et, aussi, toutes les fatalités. Je
souffrirai; je désirerai mourir; et puis, je me relèverai des
prostrations pour défier le jour et ses injures.
Je serai le poète déchiré par le soupir de la nuit, les
clameurs du réveil, jusqu'à ce que, mille fois abattu, je
redresse le front pour m'abreuver encore aux étoiles.

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James

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