II
Un matin, elle fut en sursaut réveillée.
Là-bas, au bout du parc, sous l’épaisse feuillée,
Des coups de feu pressés annonçaient l’ennemi.
La noble enfant rougit d’abord d’avoir frémi;
Elle voulait, ainsi que Roger, être brave.
Comme s’il ne se fût rien passé de plus grave,
Calme, elle s’habilla, puis, ayant achevé
Sa prière du jour sans omettre un Ave,
Descendit au salon, le sourire à la bouche.
Ce n’était presque rien, une simple escarmouche.
Des soldats bavarois, venus en éclaireurs
Et brusquement surpris par quelques francs-tireurs,
S’enfuyaient. Tout, au loin, rentrait dans le silence.
« Il faudrait établir, dit-elle, une ambulance. »
En effet, on avait justement ramassé
Sur le lieu du combat un officier blessé,
Un Bavarois, le cou traversé d’une balle;
Et quand on apporta ce grand jeune homme pâle,
Les yeux clos, et saignant sur un vieux matelas,
Sans trembler d’un frisson, sans pousser un hélas,
Irène le fit mettre avec sollicitude
Dans la chambre où Roger demeurait d’habitude,
Quand, pour faire sa cour, il venait au château.
Elle porta dehors la veste et le manteau
Tout noirs de sang, pendant qu’on couchait le malade,
Gronda le vieux valet qui prenait l’air maussade
Et qui ne montrait pas assez d’empressement,
Et, quand le docteur fit le premier pansement,
L’assista de ses mains ainsi qu’une soeur grise.
Enfin quand, le regard tout rempli de surprise
Et de reconnaissance heureuse, le blessé
Se fut parmi les doux oreillers affaissé,
Elle s’assit devant cette tête assoupie,
Demanda du vieux linge et fit de la charpie.
- C’était ainsi qu’Irène entendait le devoir.
Le soir du même jour, le docteur vint revoir
Son malade, et faisant étrangement la moue,
Il dit entre ses dents:
« Oui, le sang à la joue,
Le pouls trop vif... Allons! une mauvaise nuit...
La fièvre, le délire et tout ce qui s’ensuit!
- Mourra-t-il? dit Irène, un frisson sur la lèvre.
- Qui sait? Je vais tâcher de couper cette fièvre.
Cette formule-ci souvent a du succès.
Mais il faut que quelqu’un observe les accès,
Le veille jusqu’au jour et le soigne avec zèle.
- Je suis prête, docteur.
- Non pas, mademoiselle,
L’un de vos gens peut bien...
- Non, docteur, car Roger
peut-être est prisonnier, malade, à l’étranger,
S’il lui fallait les soins que ce blessé demande,
Je voudrais qu’il les eût des mains d’une Allemande.
- Soit! dit le vieux docteur en lui tendant la main.
Vous allez donc veiller ici jusqu’à demain.
Il suffit d’un accès de fièvre pour qu’il meure;
Donnez la potion de quart d’heure en quart d’heure.
Au jour je reviendrai pour juger de l’effet. »
Puis il partit, laissant Irène à ce chevet.