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 Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) LE RETOUR DE LA POUPÉE.

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MessageSujet: Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) LE RETOUR DE LA POUPÉE.   Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859)   LE RETOUR DE LA POUPÉE. Icon_minitimeSam 6 Oct - 15:49

LE RETOUR DE LA POUPÉE.

-Bonjour, Alphonse, dit le lendemain monsieur Sarrasin en entrant dans
la maison de son petit neveu, qu'il trouva dans la cour.

-Ah! mon oncle, quelle joie de te voir!

-Je l'imagine bien, mon ami, et puis voilà ta cousine un peu malade,
qu'il faut distraire et guérir. C'est une heure de plaisir que nous
venons te demander.

-Quel bonheur! quel bonheur! quel bonheur! cria de toute sa tête
Alphonse en voltigeant à travers l'escalier, où il tirait de toute
sa force son oncle par la main: maman! c'est mon oncle! c'est petite
cousine » et sa mère ouvrit avec empressement.

Au milieu de l'entretien amical qui s'engagea, monsieur Sarrasin
observait le maintien de sa fille. Il craignait qu'elle n'en voulut
dans son coeur à ce jeune garçon, auteur vrai ou supposé d'un si grand
chagrin. Mais il ne vit nulle trace d'inimitié ni de bouderie sur ce
petit front rêveur, et l'aima bien mieux encore. Amour à ceux que la
douleur n'aigrit pas; qui ne rendent pas les autres responsables de
leur extrême sensibilité! Alphonse l'avait fait souffrir, mais Alphonse
n'était pas méchant; il n'était qu'étourdi.

Cette petite le sentait bien, elle était si bonne, si triste de la perte
de Fauvette, qu'elle n'avait pas besoin de joindre à son mal d'amitié,
le mal qui mord le coeur, la haine. Sa mère avait dit une fois devant
elle que la haine ferme la porte du ciel: oh! cette petite voulait aller
au ciel, elle ne voulait qu'aimer, comme les anges, comme sa mère!

«-Figure-toi, Alphonse, dit monsieur Sarrasin au joyeux enfant qu'il
avait pris entre ses genoux, et qui grimpait dessus comme un chevreau,
figure-toi que j'ai du chagrin.»

Alphonse dressa l'oreille, cessa de se rouler sur son oncle, et le nez
en l'air, les cheveux éparpillés sur son front qui devenait grave, il
écouta tout frappé d'intérêt, la suite de ce mot qu'il avait répété
vivement:-du chagrin.

-Oui, Alphonse, du chagrin! je peux te confier cela, à toi, qui es un
grand garçon, le cousin, l'ami, le défenseur de mes filles, à défaut de
frère, qu'elles n'ont pas: tu comprends?

-Alphonse devint tout âme.

-Figure-toi que cette petite, que j'ai prié exprès ta mère d'emmener
un moment au jardin, est encore si crédule, si enfant, qu'elle se
persuade... mille choses touchantes par leur naïveté; entre autres, elle
croit que les poupées sont vivantes.-Alphonse poussa un grand éclat de
rire et se frotta les mains.

-Toi aussi quand tu étais petit, tu croyais fermement à l'existence de
ton cheval de carton, et tu exigeais qu'on lui achetât de l'avoine.
Mais tu as neuf ans, tu sais la vie et tu es revenu de tous ces
enfantillages, une poupée pour toi, c'est un petit morceau de bois;
c'est exactement la même chose pour moi-même; toutefois, nos anciennes
erreurs doivent tourner en indulgence pour les simples, et tu seras
triste comme moi quand tu sauras que ta petite cousine est sérieusement
malade de l'absence, de la fuite, du vol d'une poupée; je dis du vol,
car elle a disparu en effet comme un oiseau dont elle portait le nom:
Fauvette.

-Alphonse redevint immobile. Figure-toi, mon pauvre Alphonse, que
depuis trois mois environ, je vois languir mon plus jeune enfant, un
ennui muet fane sa vie, sa jeune vie, autrefois heureuse et comblée par
la possession de sa poupée! c'était sa compagne, c'était sa fille! elle
lui parlait bas, elle lui faisait respirer des fleurs, cherchait partout
de la mousse pour l'y coucher auprès d'elle: tu aurais ri...

Alphonse ne riait plus.

-Enfin, pitié! une si petite idole suffisait à un si petit coeur; car
sa perte l'oppresse, l'étonne, l'isole. Elle est dans un désert depuis
que cette diable de poupée a disparu. Elle ne mange plus qu'à peine,
elle a de la fièvre, des soupirs, qui disent: ma fille! ma fille! on
pourrait en rire si...

Alphonse fondait en larmes.

-Pourquoi pleures-tu? tu n'es pas son père, poursuivit monsieur
Sarrasin; tu ne sens pas le mal que me fait l'étrange manie de mon
enfant.

-Je le sens, moi, mon oncle, et c'est bien pire que toi! dit Alphonse
avec une candeur passionnée. Tiens! quand tu devrais me battre, il
faut que je te l'avoue, car j'étouffe. C'est moi qui suis le voleur de
poupée, adieu, mon oncle, je vais..., je ne sais pas où je vais, mais je
n'ose plus te regarder, et j'aimerais mieux être en prison que devant
toi!

-Rends-moi plutôt la poupée! répartit son oncle en lui barrant la
porte, et comprimant ses sanglots contre sa poitrine.

-Mon Dieu! s'écria l'enfant malheureux, si je l'avais, ce serait déjà
fait. Mais j'ai pris cela, moi, comme un caillou, une balle pour lancer
en l'air. Je ne sais ce qu'elle est devenue: je croyais que c'était pour
rire ce nom de: ma fille, qui est-ce qui va penser!...

-Ah! voilà le mal dit l'oncle en appuyant sur cette réflexion. On
trouble souvent le bonheur des autres, sans contribuer au sien même;
faute de l'avoir compris on brise, on détruit, sans cruauté, des liens,
des habitudes profondes et sacrées; mon cher ami, ne prends rien à
personne, ne dérange pas un fil dans la trame des autres, de peur de
rompre ceux que tu n'aperçois pas. Souviens-toi de mon conseil, surtout
quand tu seras grand!

-Ah! je te le jure! mon oncle: Malade par ma faute! répétait, en
tapant des pieds, Alphonse exalté de repentir.

Marceline rentrait dans ce moment. Pressé par la honte de paraître
devant elle, il se glissa prompt comme l'éclair, sous un long rideau de
croisée, où il ensevelit sa rougeur et ses larmes. L'ample draperie de
soie agitée fortement par Alphonse s'ébranla; quelque ange, souriant
peut-être, en fit tomber la poupée elle-même! la poupée les bras ouverts
comme pour alléger sa chute; la poupée mignonne et chérie, retenue dans
un pli du rideau comme dans une étroite prison!

Ah! ce fut étouffant de surprise et de joie. Marceline ne fit qu'un
grand cri, puis se jeta sur sa fille qu'elle saisit à deux mains avec un
tremblement d'âme inexplicable à cet âge en se réfugiant avec elle sous
les bras de son père, ingénieuse à lui chercher un asile pour toujours!

Je ne peux pas vous dire exactement lequel fut le plus heureux de cette
étonnante aventure. Monsieur Sarrasin y puisait la guérison de sa chère
fille; Marceline une récompense sans nom à sa silencieuse maladie, et
Alphonse dansait sur un repentir. Il sentait tomber ce plomb qui pend au
coeur de ceux qui se disent: j'ai fait du mal à quelqu'un!

Oh! décidément, Alphonse était le plus heureux! tout le monde du moins
aurait pu le croire comme moi, en le voyant bondir sur le chemin où la
poupée fut ramenée en triomphe par les trois personnes auxquelles elle
inspirait un intérêt si différent!
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Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859) LE RETOUR DE LA POUPÉE.
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