CHAPITRE XI
UN GRABAT
Il etait a demi couche, le pauvre malade, sur un lit de sangle place
au milieu d'une chambre vide. Cette chambre etait aussi toute noire,
et il n'y avait pour l'eclairer qu'une chandelle placee dans un
encrier, en guise de flambeau, et elevee sur une grande cheminee de
pierre. Il etait assis dans son lit de mort, sur son matelas mince et
enfonce, les jambes chargees d'une couverture de laine en lambeaux,
la tete nue, les cheveux en desordre, le corps droit, la poitrine
decouverte et creusee par les convulsions douloureuses de l'agonie.
Moi, je vins m'asseoir sur le lit de sangle, parce qu'il n'y avait
pas de chaise; j'appuyai mes pieds sur une petite malle de cuir noir,
sur laquelle je posai un verre et deux petites fioles d'une potion,
inutile pour le sauver, mais bonne a le faire moins souffrir. Sa
figure etait tres noble et tres belle; il me regardait fixement, et
il avait au-dessus des joues, entre le nez et les yeux, cette
contraction nerveuse que nulle convulsion ne peut imiter, que nulle
maladie ne donne, qui dit au medecin: Va-t'en! et qui est comme
l'etendard que la Mort plante sur sa conquete. Il serrait dans l'une
de ses mains sa plume, sa derniere, sa pauvre plume, bien tachee
d'encre, bien pelee, et toute herissee; dans l'autre main, une croute
bien dure de son dernier morceau de pain. Ses deux jambes se
choquaient et tremblaient de maniere a faire craquer le lit mal
assure. J'ecoutai avec attention le souffle embarrasse de la
respiration du malade, et j'entendis le rale avec un enrouement
caverneux; je reconnus la mort a ce bruit, comme un marin experimente
reconnait la tempete au petit sifflement du vent qui la precede.